Yvorne, mystères de la cloche du Collège

Lors de réunions d’habitants d’Yvorne, il se raconte encore de nos jours cette histoire étrange : un jour de printemps 1955, la cloche du Collège avait disparu et les élèves pensaient qu’elle avait été volée. Mais que s’était-il vraiment passé ? Et d’où venait cette cloche ?

 

La cloche du Collège
La cloche du Collège

 

Pour démêler cette histoire, j’ai rendez-vous avec M. Jacques Brunnschweiler, ancien diacre en hôtellerie dans l’église Farel d’Aigle. Et ce n’est pas par hasard car elle est à l’origine de ces mystères.

 

Origine de la cloche

Féru d’histoire et esprit curieux, notre enquêteur se demandait quelle était la provenance de la cloche située dans le Collège d’Yvorne. Car celle-ci ne paraissait pas vraiment à sa place ! « Elle est beaucoup trop puissante pour une école. Pensez ! », nous dit-il, « elle s’entend jusqu’en haut du village ». En effet, son poids est de 40 kilos et elle a un diamètre de 40 cm. Elle est faite en bronze (alliage de cuivre/étain). A noter que son ton donne le do-dièse. La solution de cette énigme lui a été apportée par M. Jean-Pierre Thévenaz, ancien pasteur, lors d’une balade, qui lui a dit : « La cloche qui était sur le clocher de l’église Farel, c’est celle sur le Collège d’Yvorne ! »

 

L’Eglise Farel

L’Eglise Farel, située rue du Midi au centre-ville d’Aigle a une longue histoire. Elle a été construite au XIIe siècle et utilisée comme église paroissiale dès 1214 et ce, jusqu’à la Réformation. Elle portait le nom d’Eglise Saint-Jacques et était, comme l’Eglise du Cloître, sous la domination de l’Abbaye de Saint-Maurice. C’est dans cette église, en 1528, que Guillaume Farel a célébré pour la première fois au monde les premiers cultes protestants en français. Par la suite, elle devint l’église où les protestants de langue allemande se réunissaient. Au XVIIe siècle, la tour-clocher de l’église Saint-Jacques a été reconstruite plus petite et on y a installé une nouvelle cloche sur laquelle la date de 1639 a été inscrite.

Deux cents ans après cette reconstruction, c’est-à-dire au milieu de XIXe siècle, cette église était très délabrée. Elle ne servait plus en tant qu’église mais était devenue une salle de dépôt.  Elle fut même utilisée comme logement pour des internés français survivants de la guerre entre la France et la Prusse, menée par le Général Bourbaki (un Français). A cette époque, la commune d’Aigle en était propriétaire à la suite des Bernois.

 

Une cloche qui disparaît, une histoire encore contée aujourd’hui
Une cloche qui disparaît, une histoire encore contée aujourd’hui

 

C’est cette cloche, alors devenue inutile, qui a été vendue en 1871 à Yvorne pour son nouveau Collège, car plus aucun office n’y était célébré et elle n’avait plus d’utilité. En 1873, l’église, alors en vente, a été achetée à la commune d’Aigle par le pharmacien Koerner, voisin, et utilisée comme dépôt. Finalement, l’église est revendue en 1892 aux Suisses-allemands d’Aigle, pour leur culte. Dès le début du XXe siècle, ceux-ci renomment l’église Chapelle Farel puis Église Farel en souvenir du grand réformateur. La tour resta sans cloche mais toute la belle poutraison en pointe y est encore. Un premier mystère éclairci !

 

Disparition de la cloche

Au printemps 1955, brutalement, la cloche disparaît du clocheton du Collège. Les enfants et les habitants, habitués à sa sonnerie, ne l’entendent plus. Étonnés, désemparés, ils établissent des scénarios. Leur cloche aurait-elle été volée, ou cachée à Versvey ? Mystère !

 

Deux fois par jour, les élèves sonnent la cloche
Deux fois par jour, les élèves sonnent la cloche

 

Les anciens, enfants de l’époque, en causent encore maintenant en 2022 si on aborde le sujet. Lors d’une brisolée à Yvorne, notre enquêteur se trouve face à des anciens du village et le sujet de la cloche volée revient sur la table. Par la suite, il rencontre un ami et lui parle de ses interrogations sur cette disparition en 1955. « Mais c’est facile ! » lui répond celui-ci. « A cette époque, un gars de Versvey, pas content de ne pas avoir eu un mandat de travaux à l’église d’Yvorne par la commune, a été prendre la cloche du Collège dont le support en bois était mal en point, ça se savait ! Il a donc pu facilement la décrocher. Et ce mécontent l’a planquée dans une grange à Versvey. » Selon cet ami, la cloche aurait ensuite été fondue dans une fonderie de la région.

 

A Versvey vers les années 1965, il fallait entendre un Suisse-allemand qui, après avoir bu quelques décis disait, avec un fort accent, à un habitué attablé là : « t’as mis où la cloche ? ». Il s’agissait bien de celle du Collège. Et dans les bistrots du village, la question, sous forme de boutade, « t’as mis où la cloche ? », se répétait souvent mais restait sans réponse. Cette question lancée à la cantonade exprimait un drame local qui s’était déroulé à Yvorne au printemps 1955 : la cloche du Collège avait bel et bien disparu. « Était-ce possible qu’un individu, dans un esprit de vengeance, soit monté dans le grenier du Collège, ait décroché cette cloche par un jour ou nuit d’orage ni vu, ni entendu, et l’ait mise dans un sac en jute solide et emportée ? » se demande notre informateur.

 

Recherches approfondies

  1. Brunnschweiler avait déjà fait quelques recherches sur cette cloche quatre ans auparavant. En novembre 2022, il décida d’aller plus loin. Il était au courant que lors de travaux sur le toit du Collège en novembre 2018, l’entreprise Müller Toitures en avait fait quelques photos. Y était inscrit le nom de Rüetschi, une entreprise de fonderie suisse alémanique. Dans un courrier, il leur demande si ce sont eux qui ont fondu cette cloche. Il les interroge aussi sur la mention, gravée sur la cloche : « Commune d’Yvorne 1955 remplace celle de 1639. »

 

Résolution du mystère

Fin novembre 2022, la Fonderie Rüetschi Aarau envoie des copies de ses archives de 1955 à M. Brunnschweiler. Ces documents adressés à la commune d’Yvorne montrent qu’en 1955, la cloche du Collège datant de 1639, car provenant de l’église Farel, donc une vieille cloche de plus de 300 ans, était fêlée. La Fonderie Rüetschi indique qu’elle est irréparable et qu’ils recommandent de la remplacer par une identique et qu’ainsi le timbre et la force du son ne changeront que très peu de l’ancienne. Ils reprennent l’ancienne cloche au prix du kilo de bronze. C’est l’ancienne qui a donc servi de modèle ! Les employés de la commune d’Yvorne, sans avertir personne, ont décroché la cloche fendue et l’ont envoyée à Aarau, ainsi elle a disparu pour quelques semaines, au printemps 1955, le temps de la fabrication d’une nouvelle. Et la commune avait fait inscrire sur cette nouvelle cloche qu’elle datait de 1955 et qu’elle remplaçait celle de 1639. Voici donc la solution de ce deuxième mystère !

 

Commune d’Yvorne 1955 remplace celle de 1639
Commune d’Yvorne 1955 remplace celle de 1639

 

Solution du mystère, ce qu’on raconte de 1955 reste

L’origine de cette histoire correspond aux quelques semaines sans cloche au clocheton sur le toit. Alors les gens, les familles, les enfants du Collège ont géré ce mystère à leur manière et raconté entre eux que leur cloche disparue, aurait donc été volée. Puis tout à coup la cloche est revenue ! Mais la tradition orale est restée, ce qu’on raconte encore au village, parfois à voix basse. Mais tout va bien ! Une nouvelle cloche a été pendue à ce clocheton du Collège, à l’identique de l’ancienne, en bronze, de 40 kg. Elle sonne deux fois par jour, les enfants, les petits, tirent la corde.

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Article écrit par

Florence Moreau

Florence Moreau

Journaliste

1 commentaire

  1. Ein großer Dank, an meinen Freund Jacques Brunnschweiler, für diese überaus spannende und erfolgreiche Recherche zur Glocke der Farel Kirche in Aigle!

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