Ce mois, la rédaction du Point Chablais vous propose un dossier du mois salé avec une plongée au coeur des Mines de Sel de Bex, plus précisément dans l’histoire de la maison du Bouillet, appelée à tort Maison Bernoise, mais également dans celle de l’illustre Jean de Charpentier, dont une exposition lui rend actuellement hommage. Deux sujets passionnants à découvrir sans plus tarder !
La « Maison Bernoise » n’a de bernois que son nom
Histoire et avenir de cette bâtisse historique du Bouillet
La bâtisse en bois sise au Bouillet, appelée Chalet Bernois ou Maison Bernoise, n’a de bernois que son nom. Pierre-Yves Pièce, guide du patrimoine, membre fondateur de l’Association Cum Grano Salis et auteur de nombreux articles sur l’histoire des mines et salines, lève le voile sur sa véritable histoire. L’occasion de parler également de son avenir avec une rénovation complète qui devrait débuter l’année prochaine.
Origines
« Le Chalet Bernois daterait de la fin de l’époque administrative bernoise du Pays de Vaud, soit des premières années du canton de Vaud. En effet, de 1475 à 1798, sous le nom de Gouvernement d’Aigle, la région de Bex fut occupée par Berne qui reprit l’exploitation des sources salées en 1685. En 1725, Isaac Gamaliel de Rovéréa débuta la grande aventure du Bouillet avec l’audacieux projet d’y creuser une nouvelle galerie, celle empruntée par le Train des Mineurs aujourd’hui encore. La bâtisse aurait été construite au début du XIXe siècle afin d’y loger deux contremaîtres et leurs familles », explique Giancarlo Ombelli, président de la Fondation des Mines de Sel de Bex (FMSB).
Comme nous l’apprend Pierre-Yves Pièce dans un article passionnant sur ce sujet publié en janvier 2023 sur le site NotreHistoire.ch, cette maison remplace une autre bâtisse qui servait de logement au contremaître des mines du Fondement, construite avant 1787 mais qui se trouvait dans un état de fort délabrement : « En fin d’année 1803, Benjamin Creux, “membre de la Direction des sels, mines et salines” du tout jeune canton de Vaud, rapporte au Petit Conseil ce qu’il a observé lors de sa visite à Bex entre le 29 octobre et le 4 novembre 1803 : « La maison du Bouillet qui sert de logement au Directeur des Mines du Fondement est dans un état de mouvement qui fait frémir pour les individus qui sont appelés à l’habiter. Construite sur le bord escarpé de la Gryonne qui coule au-dessous à une grande profondeur, sur un sol qui n’est composé que de débris du rocher voisin et qui glisse constamment, cette habitation est menacée, à chaque instant, d’un écroulement prochain. » Il conclut ainsi : « Construire une nouvelle maison en pierre, dans cette localité, serait s’exposer, à coup sûr, aux mêmes dangers qui existent. Le sol est partout le même dans cette esplanade. Il n’y aurait d’autre moyen que d’en construire une en bois, dont les angles seraient fortement liés. » ».
C’est ainsi que le Petit Conseil, suite à ce rapport, autorise, dans sa séance du 20 décembre 1803, la reconstruction de la maison du Bouillet. Le bâtiment originel étant en trop mauvais état pour être réparé, il est convenu d’en construire un nouveau à proximité. Pour ce faire, au début de 1806, la commune de Bex, alors propriétaire du terrain, vend ce dernier au canton qui autorise ensuite le chantier. Les travaux se bouclent en moins de six mois. Le géomètre souterrain Albert Ginsberg peut dès lors y emménager avec sa famille.
L’ancienne bâtisse est par la suite transformée en hangar. Sur l’un des murs extérieurs, une plaque mentionne « Ancien bureau contremaître – Ancien magasin à bois et cave ». La maison du Bouillet se trouve quant à elle à sa gauche.
Nouvelle demande de restauration
En 2005, dans le cadre de la réalisation d’un nouveau plan partiel d’affectation pour le site des Mines de Sel de Bex au Bouillet, une étude a été menée concernant la maison du Bouillet et sa dépendance. Cette étude, réalisée par l’archéologue Jean-Blaise Gardiol, du Bureau d’analyses et d’études architecturales, révèle que : « La forme du toit suggère qu’il n’est pas impossible que le Maître de l’ouvrage ait pu faire appel à un architecte bernois. […] La qualité architecturale de l’édifice, et les difficultés financières des salines autour des années 1800 semblent exclure que le Maître de l’ouvrage ait pu être le jeune canton de Vaud. Il s’agit certainement d’une construction commanditée par Leurs Excellences de Berne durant leurs dernières décennies d’occupation, et les recherches devraient être poursuivies dans ce sens, à Berne et aux Archives cantonales vaudoises ».
Pour Pierre-Yves Pièce, la confusion de l’archéologue provient du fait « qu’il imaginait cette bâtisse plus ancienne qu’elle ne l’était. Et pour cause : lors de la reconstruction de la maison neuve du Bouillet, une partie du matériel de l’ancienne maison fut récupéré, dont entre autres des ferrures qui, effectivement, datent de l’époque où Bex était sous le joug bernois. Mais il est probable que les travaux aient été réalisés par les ouvriers des mines. Exception faite des vitres ; un vitrier lausannois a dû être engagé car il n’y en avait pas à Bex. Un rapport fait d’ailleurs mention d’un prix exorbitant pour cet ouvrage. »
Face à ce rapport d’étude, dans son article, Pierre-Yves Pièce ajoute alors : « Sachant que la Fondation des mines de sel de Bex, alors présidée par l’entrepreneur bellerin François Cadosch, souhaitait obtenir des subsides de la part de la Bourgeoisie de Berne pour la restauration et la mise en valeur de ce bâtiment, on comprend l’intérêt d’attester son origine bernoise. Le projet est malgré tout resté figé dans les tiroirs et depuis, rien n’a été réalisé ». L’avortement de ce projet est-il dû à l’absence de soutien financier de la Bourgeoise de Berne en raison du fait que cette maison ne soit pas bernoise ? Pour l’actuel président de la FMSB, un tel lien ne peut pas être établi. « A cette époque, la Fondation avait d’autres objectifs, notamment la construction de l’Espace de Haller (accueil des visiteurs et boutique sur le site touristique). »
Une rénovation prévue l’an prochain
Après une transformation pour adapter les lieux en tant que logement pour le chef d’exploitation de la Mine (chef des mineurs) dans les années 60, la FMSB désire aujourd’hui redonner un vrai coup de fraîcheur à cette maison. Le programme prévoit un assainissement, une restauration et une rénovation complète de la bâtisse. L’affectation des locaux sera publique et servira de locaux d’exposition. « Cette rénovation permettra de développer le cœur de la mission de la FMSB par trois aspects : donner un foyer à l’histoire du sel vaudois (documents, instruments, outils, etc.), faire battre le cœur de la FMSB (le patrimoine vaudois aura sa place en pleine lumière) et diversifier les activités (expositions permanentes et temporaires) », précise Giancarlo Ombelli.
Pourquoi maintenir les origines bernoises ?
Au vu des éléments qui précèdent et du fait que la maison du Bouillet n’est pas d’origine bernoise, pourquoi la FMSB maintient l’appellation ? Une plaque signalétique apposée sur la demeure mentionne d’ailleurs « Chalet Bernois – Ancienne habitation du contremaître Fontaine et Calcaire de Saint-Triphon ». Giancarlo Ombelli nous donne quelques explications. « Vous citez à juste titre que de récentes recherches historiques sur cette bâtisse établissent que ce bien patrimonial n’est pas Bernois, mais Vaudois. A ce jour encore, de nombreuses légendes racontent l’histoire des Mines de Sel et de sa Maison Bernoise. Inspiration architecturale ou véritable réalisation bernoise ? La réfection du bâtiment nous permettra, peut-être, de lever le voile sur son histoire. L’appellation Maison Bernoise ou Chalet Bernois associée à cette bâtisse est un nom d’usage. L’ancienne demeure des contremaîtres sise au Bouillet, appelée maison bernoise dans le langage courant des gens de la mine et du personnel touristique, est un vestige encore visible – et donc lisible par cette appellation – du lien entre l’histoire de la région et l’histoire suisse. Ce nom conservé et transmis inscrit la rénovation dans une continuité historique, tout en signalant clairement aux visiteurs l’importance de la mine et du sel au-delà des frontières cantonales (importance par ailleurs rappelée sur le parcours touristique). A ce stade du projet, la FMSB ne juge pas nécessaire de modifier cette désignation pour la rénovation projetée. La restauration de ce bâtiment et la dimension paysagère sont des intentions parfaitement en accord avec la qualité patrimoniale et l’intérêt touristique du site, c’est ce qui importe à la FMSB. »
Un simple nom nous mène à une histoire incroyable. La Maison Bernoise gardera donc sa plaque et son drapeau aux couleurs bernoises – drapeau qui côtoie celui du canton de Vaud, notez le trait d’humour – afin de perpétuer un souvenir. Quoi qu’il en soit, un souvenir qui fait parler et qui offre une belle anecdote !
- Photos et texte : Zoé Gallarotti
Jean de Charpentier à l’honneur
La Fondation des Mines de Sel de Bex met une nouvelle fois Jean de Charpentier, directeur du site de 1813 à 1855, à l’honneur, le temps d’une exposition qui se tiendra jusqu’en août prochain sur le site touristique.
Andreas Baud, responsable du marketing, commercialisation et tourisme des Salines Suisses, tient à mettre Bex sur la carte de la Suisse. C’est le vœu qu’il a exprimé lors de l’inauguration de l’exposition. Une initiative qui ne peut faire que le bonheur de la Cité du sel. Celle-ci y occupe toutefois, depuis l’époque bernoise, une place d’exception en Europe, notamment et surtout grâce à la découverte d’eaux salifères sur son sol. Mines et eaux ont alors attiré à Bex scientifiques et touristes de renom (Horace Bénédict de Saussure, Jean-Jacques Rousseau, Châteaubriand et même Casanova) pour n’en citer que quelques-uns dans le désordre.
Un homme qui reste dans les mémoires
Parmi les directeurs qui se sont succédé à la tête de cette formidable entreprise, Jean de Charpentier reste dans les mémoires surtout grâce aux innovations qu’il a apportées dans l’exploitation et à ses nombreux travaux scientifiques dans de nombreux domaines. Pour rendre hommage à cet homme d’exception au patronyme bien français, mais dont l’origine est allemande (Saxe), une exposition autour de la maison du contremaître offre aux visiteurs six tableaux documentés sur sa vie et son parcours. L’accent est évidemment mis sur la période où il a tenu les rênes des mines (alors vaudoises), les changements et améliorations réalisées sous sa direction, dont l’introduction du lessivage de la roche. Cette technique a permis de se passer de l’étape des bâtiments de graduation, dévoreuse de temps et d’énergie. Ses passions, outre celles des roches et du sel, sont également largement mises en exergue puisque ce scientifique s’intéressait entre autres à la botanique et à l’étude des mollusques dont il possédait une vaste collection.
L’exposition se termine sur son rôle dans l’élaboration de la théorie des glaciers et évoque un épisode peu glorieux de la genèse de celle-ci. En effet, Louis Agassiz, scientifique de renom, ami et collègue de Jean Charpentier, a parcouru le Chablais avec lui. Ensemble, au vu de leurs découvertes, ils ont conçu ladite théorie. Toutefois, Agassiz l’a ensuite présentée seul et en son nom devant la Société helvétique des sciences naturelles le 24 juillet 1837. Une dérobade qui brisera l’amitié de ces deux hommes remarquables. Relevons encore que la paternité de l’idée de la théorie des glaciers est toutefois attribuée à l’Ecossais John Playfair (1748-1819). Par ailleurs, Charpentier et Agassiz ont été « inspirés » par l’ingénieur cantonal valaisan Ignace Venetz qui lui-même avait recueilli les constatations d’un paysan de Lourtier, Jean-Pierre Perraudin.
Un historien alémanique derrière l’exposition
Pour mettre sur pied cette exposition, Salines Suisses a fait appel à Walter Thut, un historien alémanique, qui s’est plongé à son tour dans les archives pour faire revivre Jean de Charpentier et cette période riche en découvertes. Jean de Charpentier est honoré à Bex depuis toujours. Sa stèle funéraire – déplacée suite à la désaffectation du cimetière qui l’abritait – jouxte l’église protestante de Bex, une rue porte depuis 1965 son nom tout comme une maison. Sans oublier le bloc monstre, dans la forêt des Dévens et sur lequel est gravé une dédicace à son nom.
La présente exposition est un heureux rappel du parcours d’un scientifique hors du commun qui a contribué au développement des mines et aux découvertes en matière de géologie. Des découvertes qui ont mené à remettre en question l’histoire de la création que l’on faisait remonter à l’époque à 4’000 ans tout au plus.
- Photos : Zoé Gallarotti
- Texte : M. Berney
Programme à venir
Deux conférences à ne pas manquer
Jeudi 31 octobre, de 18h à 20h
Bex et ses hôtels à la « Belle Époque »
Par Caroline Dey, auteur du livre « Bex-Villars à la Belle Époque »
Les débuts du sel en Pays de Vaud - Quels défis pour créer de toute pièce une nouvelle entreprise
Par Lucienne Hubler, co-auteure du livre « Une pincée de sel »
Jeudi 14 novembre, de 18h à 20h
La production du colorant indigo à Monthey grâce au Sel des Alpes
La géo diversité minérale des Mines de Sel de Bex
Par Nicolas Meisser, conservateur de la minéralogie au musée cantonal des sciences naturelles
Informations
Le parcours est en libre accès autour de la maison du contremaître – juste avant le bâtiment d’accueil des visiteurs - et restera visible jusqu’à fin août 2025.
https://salina-helvetica.ch/fr/conferences-en-mines