Le Buffet de la Gare de Bex ferme ses portes : une fin ou un renouveau ?

Ouvert le 8 mai 1865, huit ans après l’arrivée du premier train à Bex, le Buffet de la Gare fermera ses portes fin août 2023. Le restaurant avait été rénové à deux reprises, en 1937 et 1983, pour rester au goût du jour. Cette fois-ci, c’est l’ensemble du bâtiment qui connaîtra une grande rénovation.

 

Jardins du Buffet de la Gare vers 1900
Jardins du Buffet de la Gare vers 1900

 

Comme un observateur silencieux des transformations socio-historiques de Bex et du monde, le Buffet de la Gare a accueilli une clientèle diversifiée au fil de ses 158 ans d’existence. Dès sa naissance, sa vie et son destin ont été liés à celui de ses propriétaires, les CFF. Les traits de son identité ont été également dessinés par les usages et les besoins de ses clients à travers les âges. Si dans les années 50 il y avait encore des salles réservées aux passagers de la première classe dans le restaurant, l’année 2023 sera marquée par le droit à l’accessibilité.

 

C’est ainsi que les derniers travaux menés à la gare de Bex visaient, entre autres, la mise en conformité de cette dernière à la lumière de l’application de la loi fédérale sur l’égalité pour les handicapés (LHand).  Et en 2021, lorsque l’on célébrait – masqués, COVID obligeait –  un nouveau passage sous-voie, des nouveaux quais et l’introduction du nouvel horaire, ce sont les cuisiniers du Buffet qui ont régalé les Bellerins ainsi que les autorités cantonales et communales. 

 

Les cochers des hôtels de Bex devant l'entrée du Buffet de la Gare. Le 8 mai 1904
Les cochers des hôtels de Bex devant l’entrée du Buffet de la Gare. Le 8 mai 1904

 

À venir…

Il est certain que d’autres modifications sont à prévoir à l’avenir mais, a priori, elles ne transformeront pas foncièrement la manière dont ce bâtiment est utilisé. En effet, selon le syndic de Bex, Alberto Cherubini, les CFF n’ont, pour l’instant, pas déposé de demande de changement d’affectation de la parcelle comprenant les dépôts et le restaurant. De plus, Jean-Philippe Schmidt, porte-parole des CFF, confirme que le bâtiment ne sera pas à vendre et ajoute : « Nous entreprendrons une grosse rénovation du bâtiment dès le 31 août prochain. L’affectation exacte des locaux n’est pas encore entièrement définie, mais nous souhaitons toujours proposer une offre de restauration par la suite. »

 

Les pendulaires, voyageurs et passants pourront donc continuer de s’y restaurer. Néanmoins, l’actuel tenancier du restaurant Thaï, Monsieur Gong, ne sera plus l’exploitant à la réouverture, dont la date n’est pas précisée. En 2017, le Buffet de la Gare de Genève a cédé la place à un fast-food. En 2018, le mythique Buffet de la Gare de Lausanne s’est métamorphosé en filiale d’une grande chaîne de restaurants végétariens. En 2023, la question concernant le type de restauration offerte à l’avenir au Buffet de la Gare de Bex reste ouverte : rapide, sur le pouce, ou le renouveau de ce restaurant autrefois réputé ?

 

Force est de constater que les buffets disparaissent peu à peu. Or, ces lieux de sociabilité faisaient partie intégrante du paysage des nombreuses gares helvétiques d’antan. De nos jours, il ne subsiste que quelques « Buffet de la Gare » en Suisse, comme le Stazione à Locarno ou le Lokremise à Saint-Gall, qui attirent encore une clientèle désireuse de plats traditionnels avec une touche d’élégance.

 

Témoin du temps qui passe

Station touristique jouissant d’une renommée internationale au XIXe siècle, considérée par certains guides de voyage européen de l’époque comme une des plus belles villes du Canton de Vaud, la ville de Bex attirait des vacanciers du monde entier. Ils séjournaient dans les « Grands Hôtels » et venaient pour les sports d’hiver (Villars-Bretaye), mais aussi pour se prélasser dans les eaux salines jaillissant naturellement dans cette contrée.

 

Le fait que la petite ville de Bex inaugure sa gare en 1857, juste 12 ans après la toute première gare de Suisse (celle de l’actuel Biozentrum de l’Université de Bâle, inaugurée en 1845) démontre bien son importance régionale à l’époque. Cela témoigne également du modèle de développement des chemins de fer propre à la Suisse. L’empreinte du fédéralisme naissant a permis l’émergence d’un réseau ferroviaire au service des enjeux très locaux, tout en s’ouvrant à l’Europe, comme rappelle l’historien Laurent Tissot, spécialiste des transports et du tourisme en Suisse. De manière certaine, l’offre touristique des Alpes vaudoises dynamisée par les voies ouvertes par les CFF a contribué à créer des besoins nouveaux autour de la gare, comme celui de se poser, et de s’y restaurer.

 

Le Buffet de la Gare : histoire collective et mémoires individuelles

Une buvette est inaugurée en 1857 dans l’enceinte de la gare, puis les journaux annoncent l’ouverture d’un buffet le 6 juin 1859. Selon des articles de 1980 et 1990 il ne s’agissait pas du buffet tel que l’on connaît. Celui de 1865, et qu’on appellera pour toujours « Buffet de la Gare », a été ouvert dans les bâtiments annexes de la gare. 

 

La naissance officielle du Buffet de la Gare, dans les grandes lignes que l’on connaît aujourd’hui, advient en 1865, quand Jules Fontannaz a trouvé bon d’offrir un « restaurant-pinte » aux touristes et passants. Monsieur Fontannaz y offrait une table d’hôte, précisément à midi et demi, et un service à la carte à toute heure. A la fin du XIXe siècle, on pouvait, y compris les demoiselles de l’Ecole supérieure de Morges, s’adonner aux plaisirs de la danse dans la grande salle lors des bals du dimanche. A midi, table d’hôte, suivi d’un petit tour aux Mines de Sel à 14h. Le piano quant à lui, sonnait à 18h claquantes.

 

Après Fontannaz, nombreux sont les tenanciers qui ont fait vivre le Buffet de la Gare ; Lesoldat, Vaudens, Hoffman, Trifiro, Masbou-Menth, Gong, pour n’en citer que quelques-uns. Certains ont marqué plus durablement l’histoire de Bex que d’autres. Tel fut le cas de la famille Lesoldat qui a honoré admirablement pendant trois générations les convives du restaurant. D’origine française, né à Fribourg, Alexandre Lesoldat, ancien cocher des Villas des Bains, est devenu bourgeois de Bex en 1907, puis buffetier de la Gare de Bex en 1911. C’est en grande partie grâce à son travail en cuisine et aux bonnes relations entretenues avec les entreprises et sociétés sportives locales, ainsi qu’avec l’armée, que cette famille a su consolider la renommée de son affaire. Si Alexandre Lesoldat a su exploiter l’établissement dans la période où le tourisme alpin prenait son élan, sa descendance a pu continuer à consolider les liens avec les Bellerins. Nombreuses sociétés y organisaient leurs fêtes annuelles, jubilaires et départs à la retraite, à l’exemple des Mines de Sel, Febex et Plumett. Finalement, la famille Lesoldat quitte les lieux en 1973.

 

L’ancien archiviste communal, Freddy Gerber, en partageant un souvenir d’enfance, nous rappelle cette page de l’histoire : « Ma maman a travaillé en tant que cuisinière pour la famille Lesoldat de 1927 à 1931. Cet endroit était le lieu de rendez-vous de tous les cochers des grands hôtels de Bex-les-Bains. Chaque grand hôtel avait sa calèche pour venir chercher ses clients. »

 

Si peu de Bellerins peuvent se souvenir de cette période, nombreux sont ceux qui se rappellent de Franco Trifiro. Dans les années 80, Monsieur Trifiro et sa femme Maria ont apporté un vent nouveau à la carte. Le Buffet de la Gare sentait alors les parfums de la bonne cuisine italienne ! Gottfried Kohli et sa famille s’en souviennent : « C’était nouveau, personne ne faisait des pizzas à l’époque à Bex ».

 

D’autres saveurs d’ailleurs se sont invitées à la table du Buffet dans les années 2000. Francine Masbou-Menth est restée pendant douze ans à la tête du restaurant thaïlandais le « Took Took ». Durant cette décennie, elle a éveillé les papilles des locaux et des passants. Aujourd’hui, aux commandes de son restaurant, le Carrefour des saveurs à Saint-Triphon, Madame Masbou-Menth se souvient de cette époque : « Quand je suis arrivée, j’ai beaucoup travaillé pour créer ma clientèle. J’ai eu du plaisir de voir mon travail reconnu par les Bellerins et les voyageurs. » Après son départ en 2018, c’est Monsieur Gong qui a repris les fourneaux en gardant une bonne partie de sa carte.

 

Buffet de la Gare, l’éternel

Les buffetiers et le Buffet de la Gare ont résisté aux aléas de la vie et du temps, comme l’inondation de 1870, l’incendie des années 50 et une faillite en 1983. Malgré les différents exploitants, styles et saveurs, il n’était pas rare (encore aujourd’hui) qu’un Bellerin dise : « Je vais au buffet de la gare ! ». Ce nom est ancré dans la mémoire collective.

 

Quel avenir pour le Buffet de la Gare?
Quel avenir pour le Buffet de la Gare?

 

C’est comme si le Buffet de la Gare est une entité qui a toujours été là et dont la présence fait partie du décor, pour toujours. D’ailleurs, il était fascinant de constater, durant l’écriture de cet article, que presque toutes les personnes interviewées ont un souvenir entre les murs de ce lieu, quand bien même elles ne s’en rendaient pas compte. Le syndic de Bex, Alberto Cherubini, en est un exemple. Interrogé sur les souvenirs personnels qu’il garde de ce buffet, il nous répond tout d’abord qu’il n’en a pas. Mais ensuite, au fil de la conversation, il se souvient y avoir réalisé des assemblées ou des rendez-vous. Comme lui, de nombreuses personnes ont une histoire ou une anecdote liée à ce lieu historique ; différentes occasions dans lesquelles elles ont bu un verre, partagé un café sur sa terrasse ou tenu une assemblée entre ses murs.

 

Et vous, qui me lisez maintenant, quels souvenirs gardez-vous ? Etiez-vous là dans les années 60, quand le rythme des pas s’est accéléré et que l’on a dû construire un passage sous voie ? Avez-vous dansé dans sa grande salle sur la musique de l’Orchestre Trocadéro dans les années 80 ? Les arbres qui peuplaient la terrasse en 1857 ne sont plus. Le bruit des calèches, les sons du passé et les mémoires individuelles s’éloignent peu à peu. Que restera-t-il de l’éternel Buffet de la Gare à la fin de ce XXIe siècle ? Tout ce que nous pouvons lui souhaiter c’est de vivre. Vivre au moins 158 ans de plus et avec autant de panache qu’il a survécu jusqu’ici à deux guerres mondiales, au développement des grandes chaînes de restauration rapide et à une pandémie !

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