Que veut dire être bénévole en 2025 ? Qui s’engage ? Pour quelles causes et sous quelles conditions ? En cette période estivale, où nombre d’événements font appel au bénévolat, nous vous proposons un tour d’horizon d’une activité peu banale, qui en dit long sur notre société.
L’étymologie du mot « bénévole » est empruntée au latin « benivole » signifiant littéralement « qui veut le bien » au XIIIe siècle. Son histoire est inséparable de son cousin « bienveillant », mais leurs chemins se sont éloignés l’un de l’autre, et le sens « qui fait preuve de bon vouloir de manière désintéressée, sans rémunération » s’est distingué à la fin du XIXe. « Bénévolat », quant à lui, a été créé tardivement, en 1954, avec la terminaison-at, pour qualifier l’action en elle-même.
Selon le rapport de l’Observatoire du bénévolat de la Société suisse d’utilité publique paru en 2020, l’idée reçue que le bénévolat est en perte de vitesse s’avère inexacte. Les prochains chiffres à paraître en août de cette année confirmeront, ou pas, la tendance. À titre indicatif, dans notre canton, l’association Bénévolat Vaud a orienté 1’139 nouveaux bénévoles en 2022, contre 1’606 en 2024. Reconnue d’utilité publique, celle-ci a pour mission de valoriser, soutenir, promouvoir et défendre la place et le rôle du bénévolat, entre autres.
Mais que recoupe la notion d’engagement ? En effet, bien que plus large, elle sous-tend celle du bénévolat. Plusieurs penseurs y ont réfléchi au XXe siècle, mais il se vit d’abord et avant tout sur le terrain, reflétant notre rapport aux autres et au monde.
L’engagement, une notion importante au XXe siècle
Pour Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, figures majeures de l’existentialisme, l’engagement est inséparable de la liberté individuelle. Les êtres humains n’ont pas d’essence prédéfinie : leurs actes les définissent. Ainsi, s’engager signifie prendre en main son existence, en choisissant des valeurs à défendre. Pour Beauvoir et Sartre, refuser l’engagement revient à fuir sa liberté et sa responsabilité. Ils ont tous deux appliqué leurs principes en s’engageant. Sartre contre le colonialisme, notamment pendant la guerre d’Algérie, tandis que Beauvoir a ardemment milité pour les droits des femmes.
Hannah Arendt, philosophe politique, distingue plusieurs types d’activités humaines : le travail, l’œuvre, et l’action qu’elle associe à l’engagement politique, car celle-ci implique de prendre la parole et d’agir en interdépendance avec les autres, dans un espace public. Pour elle, la liberté ne se vit pas dans l’intimité, mais dans le monde commun où chaque citoyen participe activement à la vie de la cité. Agir ensemble fait vivre la pluralité humaine, fait émerger le politique. Personnellement, Arendt s’est intéressée aux conseils ouvriers et aux formes d’auto-organisation citoyenne, qu’elle voyait comme des expériences authentiques de liberté politique et d’expression.
Jacques Ion, sociologue, a analysé l’évolution des formes d’engagement, notamment dans le monde associatif. Il y montre que sa forme traditionnelle, durable et structurée, souvent liée à de grandes causes ou à des idéologies (syndicats, partis), tend à reculer. À sa place émerge un engagement plus souple, émotionnellement motivé, ponctuel, souvent porté par des individus en quête de sens ou de lien social. Sa notion de « subjectivation de l’engagement » signifie que les individus choisissent leurs formes d’investissement en lien avec leur sensibilité, leur parcours, leurs valeurs, sans politisation. L’engagement moderne devient plus personnel, plus affectif, moins contraint, mais pas pour autant moins sincère ou efficace.
Aujourd’hui, on distingue le bénévolat formel auprès d’associations et celui informel regroupant les aides ponctuelles entre voisins ou amis. La dénomination de « proche aidant » qualifie ces engagements du cercle familial.
Le bénévolat, un moteur personnel et collectif
À Bex et à Aigle, le fonctionnement de nombre de structures repose sur le bénévolat. Afin de comprendre les motivations et recueillir des témoignages, j’ai rencontré six bénévoles de terrain, mais j’ai aussi interviewé Sandrine Pache, de Bénévolat Vaud.
Si le besoin de bénévoles reste important aujourd’hui, leur engagement ne se fait plus sur les mêmes bases qu’auparavant. Le monde associatif a profondément muté en raison, notamment de l’augmentation des budgets nécessaires et de celle du nombre de normes à respecter, hygiène et sécurité, par exemple. Ainsi, les aspects financiers ont induit des demandes de résultats plus exigeantes. Logiquement, le besoin en bénévoles se précise, et des compétences spécifiques sont plus requises que par le passé. Pour rester dans la course, les associations doivent être à jour au niveau de leurs savoir-faire, et se voient obligées de professionnaliser leur fonctionnement.
Pour les petits et les grands
Monique, notamment bénévole à la Ludothèque d’Aigle depuis plus de deux ans, et active auprès de ses petits-enfants, explique qu’elle avait toujours rêvé de s’engager au moment de la retraite. Souvent son activité se concentre sur les jeux pour les tous petits de 0 à 3 ans. Elle range l’espace, vérifie les jeux lorsqu’ils sont retournés, conseille les parents sur ceux à emprunter, et aime à dire « Les jeux rassemblent ». Ici, Monique est dans son élément, car elle adorait son métier d’enseignante, mais « le bénévolat n’arrive pas comme cela. Il faut être proactif. J’aime savoir que je viens tous les lundis et que je vais être au contact des enfants. Les rencontres avec les parents sont très enrichissantes. Nous partageons des moments de vie, des relations se créent. Pour eux aussi, nous sommes un réel soutien. L’équipe est soudée. Nous partageons des repas, notre contribution est vraiment reconnue. Mon mari fait du bénévolat pour une autre association de transport. Cela nous fait du bien de nous sentir utiles, tout en nous permettant d’avoir nos propres univers. Devenir bénévole représente aussi une façon de rendre à la société tout ce qu’elle a fait pour nous. Mon point de vue est simple : sans bénévolat, je meurs ».
L’humain d’abord
Rodney habite à Bex. Après avoir travaillé sur le terrain en tant qu’humanitaire pour le Comité International de la Croix Rouge, il se consacre désormais au développement. Son expérience marquante l’a exposé à des cultures et des mentalités bien loin des nôtres, et il sait comme il peut être difficile de vivre dans des situations où la détresse est une donnée quotidienne. Il s’implique comme bénévole au sein de CoCreate Humanity, qui a mis sur pied une structure de soutien entre pairs pour les travailleurs humanitaires. Cela consiste à leur offrir une écoute active et de l’empathie en cas de burnout, de harcèlement moral, de stress post-traumatique. Des situations de plus en plus fréquentes, les humanitaires étant devenus des cibles. Intégré dès les prémices du projet, Rodney a aujourd’hui la responsabilité de recruter les bénévoles, de coordonner leurs actions et de mener le premier entretien des humanitaires. « Moi, je suis passé entre les gouttes. Je comprends les besoins des pairs bénéficiaires. J’avais envie de redonner espoir et réconfort à ceux qui en avaient besoin, et de faire en sorte qu’ils aillent mieux. Cela me nourrit plus que cela ne me draine. Chez CoCreate Humanity, nous prenons grand soin de nos bénévoles. D’abord, notre recrutement est sur mesure, ensuite nous organisons des formations poussées dont les enseignements peuvent servir dans d’autres domaines. Enfin nous nous soutenons les uns les autres. Ma plus belle récompense : voir les sourires revenir sur les visages. »
Nourrir ses valeurs
Les activités des bénévoles ne sont pas forcément en lien direct avec leur profession, c’est le cas d’Annick, dont la carrière, interrompue lors de son emménagement à Monthey en 2004, évoluait dans le monde des cosmétiques. Annick est, entre autres, bénévole à Bex pour l’épicerie coopérative Le Radis et le Repair Café. Deux entités qui lui permettent de vivre en accord avec ses valeurs économiques et écologiques. Dans les statuts du Radis, chaque membre s’engage à donner deux heures de son temps mensuellement pour la mise en place des produits, le nettoyage du local, par exemple. Le Repair café, quant à lui, donne une nouvelle vie à des objets en fin de course. Grâce au bénévolat, Annick a le sentiment de vivre en harmonie avec ses valeurs, de manger des aliments sains et de ne pas surconsommer. « Cependant, cela va bien au-delà. Je participe à un mouvement plus profond, je rencontre des personnes sur la même longueur d’onde, des liens se tissent, et j’apprends énormément. Je me suis lancée, sans aucune expérience préalable, dans la refonte du site du Radis, ce qui m’a permis d’enrichir mes connaissances sur le mode de fonctionnement d’internet. J’aime me donner de petits défis, comme celui de voir si j’arrive à réparer une machine à coudre.
Normalement, au Repair Café, mes doigts servent à réparer des textiles. Les réparateurs mécaniques ne parviennent pas à satisfaire la demande, nous en manquons, et je me suis dit que je pouvais essayer lorsque j’ai vu une dame avec sa machine sous le bras. Il m’a peut-être fallu plus de temps, mais je suis venue à bout du problème, et la gratitude de la couturière était telle que son énergie m’a portée pendant des heures. »
L’ouverture vers le monde
Edward, un jeune Colombien arrivé à Aigle il y a trois ans, est porté par l’énergie, l’échange et sa contribution au collectif. Tout de suite, il a voulu participer à la vie de la communauté, et s’est d’abord tourné vers l’Église catholique, mais sa rencontre avec Espace AMIS a été décisive. Elle lui a permis de reconstituer un réseau bienveillant, d’apprendre le français et de se sentir mieux, si loin de chez lui. Immédiatement, Edward a souhaité mettre ses compétences au service de l’association. Il est particulièrement actif lors de fêtes, y compris la désormais célèbre Fête des Couleurs. « Ce que j’adore dans l’association, c’est la diversité culturelle. Grâce à ces activités, j’ai rencontré des personnes du monde entier. Je me suis ouvert à d’autres façons de penser, de voir le monde, et j’ai interrogé mes croyances. En Colombie, je ne pensais même pas que l’on pouvait avoir un point de vue si différent. J’ai pu ouvrir mon esprit. J’ai compris que les frontières n’existent pas, que la solidarité est bien plus forte que tout. Au début, j’étais un peu choqué de la méfiance des gens quand je proposais de l’aide pour porter des courses ou vider un camion de déménagement, parce que chez nous, c’est naturel de le faire. Avec Espace AMIS, je participe à quelque chose de plus grand que moi, et mon cœur se remplit de joie. Cela va bien au-delà de faire plaisir. »
S’investir en couple
Pauline et Pierre-Alain sont tous deux retraités et consacrent une partie de leur temps au bénévolat. Comme Monique, leurs petits-enfants les occupent pas mal, mais ils ont de l’énergie à revendre, et contribuent tous deux aux activités de Pro Senectute. En plus, Pierre-Alain est bénévole pour la « Société suisse de sclérose en plaques ». Pauline, en tant qu’infirmière, a toujours été tournée vers les autres et aime recevoir autour d’un bon repas. Naturellement, elle décide d’accueillir un groupe de neuf séniors pour un repas mensuel chez elle dans une ambiance sympathique progressivement devenue amicale, puisque les mêmes personnes se retrouvent depuis presque trois ans. « Avant de commencer, j’ai dû expliquer pourquoi je tenais à cette activité, et les organisateurs se sont bien assurés que je n’allais pas profiter de mes invités ! Maintenant, nous avons un bon petit groupe, c’est un peu leur sortie du mois. De mon côté, je commence à penser à mon menu le lundi, je cherche des recettes, je prépare les plats et la table le jeudi, comme cela je suis prête pour le vendredi. Je me réjouis des jours à l’avance. Nous passons un bon moment, nous discutons, tout le monde est bien intégré. Je ne suis pas animatrice, tout se fait naturellement. » Pierre-Alain décide de rejoindre cette aventure, et se propose comme chauffeur pour ces repas. « Avant de partir à la retraite, j’avais déjà pensé au bénévolat. Dans un premier temps, la diminution de mon temps de travail m’a permis de commencer avec les invités de Pauline. Ensuite, je me suis aussi engagé auprès de la Société suisse de sclérose en plaques. Je pars en accompagnant pour leurs sorties de groupe d’une semaine. En fait, c’est très poignant d’accompagner des personnes à la force de vie incroyable, bien qu’extrêmement diminuée. C’est aussi très physique, car elles ne peuvent souvent plus se maintenir ou se lever seules. Lors des séjours, nous sommes sollicités de 7 heures à 17 heures. Il y a deux accompagnants par malade. Nous sommes très encadrés. C’est un investissement total à forte charge émotionnelle, mais j’ai acquis des compétences recherchées par d’autres structures, et je sais que je pourrais me rendre utile ailleurs lorsque j’aurai plus de temps. Je tire une grande satisfaction des moments passés avec ces patients ». L’émotion de Pierre-Alain se ressent dans ses paroles. À la fin de notre entretien, il m’apprend qu’il est bénévole dans nombre de manifestations sportives, comme les Jeux de la jeunesse ou la Coupe du monde de ski à Crans-Montana. « C’est un tout autre environnement, que j’apprécie pour l’esprit de compétition et la mise en avant de mes compétences logistiques. »
Les chiffres et les impressions du terrain semblent bien converger. Pour autant, il ne faut pas se cacher que toutes les associations ne sont pas égales sur le plan de leur attractivité. En effet, nombre d’entre elles s’inquiètent de leur avenir, l’engagement sur la longue durée se raréfie, et une stimulation, telle que la rencontre de personnalités en contrepartie, n’est pas possible dans toutes les structures. La compétition entre les associations pour la recherche de fonds grandit d’année en année également, et le marché des donateurs n’est pas extensible dans un contexte de restrictions générales et de crainte face à l’avenir. Que les bonnes âmes ayant autrui à cœur ne perdent pas courage, au contraire, qu’elles saisissent l’occasion pour chercher vers qui elles pourraient se tourner pour donner de leur temps, en sachant que le retour sera inestimable. Les associations sont toujours en quête de bénévoles, même si parfois leurs critères sont spécifiques ! Finalement, en 2025, être bénévole, c’est peut-être moins « se donner » que « se relier ». N’est-ce pas, finalement, la mission de tous les bénévoles du Point Chablais ?
Informations
Listes des associations mentionnées :
https://www.ludotheque-aigle.ch/
https://www.cocreatehumanity.org/
https://www.repair-cafe.ch/fr/repaircafe/repaircafe-bex/
- Photos : N. de Santignac et CoCreate Humanity, Espace Amis, Pro Senectute, Repair Café, Société suisse de sclérose en plaques