Les avalanches sont endémiques aux montagnes enneigées. Une force de la nature à laquelle nous devons nous adapter. Un phénomène fascinant, mais aussi dangereux. Nous dédions donc l’édition de ce mois à ce sujet que nous divisons en trois volets : une exposition, le travail des services de secours et des conseils.
Cinq siècles d’avalanches aux Ormonts
L’avalanche est au cœur de l’exposition du Musée des Ormonts. Une occasion unique de plonger au cœur de ce sujet technique de manière ludique, tout en découvrant des témoignages bouleversants qui nous rappellent à quel point nous sommes tout petits face à l’immensité de la nature. Une exposition qui sort du couloir habituellement emprunté lorsque l’on aborde ce sujet. Une exposition qui ne nous laisse pas indemne.
En arrivant aux Ormonts, une construction paravalanche nous accueille. Une mise en bouche qui nous plonge dans l’histoire des avalanches dans cette région. Entre récits, souvenirs collectifs, données historiques, évolutions, des émotions fortes nous attendent à chaque tournant. L’objectif : ouvrir les esprits sur un sujet important de l’histoire de nos montagnes. Ici, nous sommes à l’opposé, fort heureusement (!), des vidéos de ces sportifs de l’extrême qui vantent le côté « fun » des avalanches. Ces réseaux sociaux qui nous font d’ailleurs oublier que ces phénomènes détruisent et tuent. « En 2021, le souffle d’une avalanche a balayé l’équivalent de 72 terrains de football. Un témoignage d’une avalanche plus ancienne relate la vision d’un chalet qui vole, emporté par le souffle. Ces événements ne sont pas à minimiser », relève Virginie Duquette, conservatrice au Musée des Ormonts et conceptrice de l’exposition.
Cette exposition a vu le jour en mars 2024 et marque les 40 ans des 14 avalanches de 1984 qui ont fortement marqué les Ormonants. « 45 maisons, 31 granges et 10 autres constructions sont endommagées ou totalement détruites. 4 génisses meurent. Plus de 30 hectares de forêts sont couchés », nous apprend l’exposition au sujet de cet épisode.
Ce point de départ, 1984, mène à une histoire bien plus importante encore. La première mention écrite concernant les avalanches date de 1560. Des témoignages permettent de découvrir que l’événement marquant, le plus ancien, remonte à 1749. Un événement se traduit par un front météorologique qui amène à une instabilité durant plusieurs jours ou semaines et qui peut déclencher plusieurs avalanches. Ainsi, les Ormonts, en cinq siècles, ont connu 140 événements majeurs. Le Musée des Ormonts revient sur 11 d’entre eux, soit plusieurs centaines d’avalanches.
Il aura fallu plus de 1’000 heures pour concevoir cette exposition avec l’aide d’une septantaine de personnes. Un travail colossal qui mérite sans aucun doute le détour.
Comprendre la neige
L’exposition nous plonge tout d’abord au cœur même du flocon de neige. La manière dont il se forme et ensuite se transforme au sol. Ces transformations, tout au long de la saison hivernale, ont un impact considérable sur l’instabilité des manteaux neigeux.
Ce sujet est vaste et souvent technique. Il n’existe par ailleurs aucune nomenclature fixe. Elle varie donc d’un spécialiste à un autre, d’une structure à une autre. « Un canton, par exemple, va s’intéresser à la force qu’une avalanche exerce sur les infrastructures, alors qu’un guide, lui, va se préoccuper de la manière dont elle démarre et comment elle évolue », explique Virginie Duquette avant d’ajouter : « Il était important pour nous d’essayer d’être rassembleur par rapport à tous ces termes. C’est pourquoi l’exposition s’axe sur les différents types de cohésions, soit les facteurs de déclenchement.»
Le vocabulaire s’est quant à lui appauvri avec le temps ; nous avons perdu beaucoup de mots en patois. « En effet, à l’époque, les habitants des montagnes devaient connaître la neige afin d’évaluer les risques. Beaucoup de mots étaient employés. Nous avons aujourd’hui délégué cette responsabilité à des structures professionnelles. » Si la peuffe (poudreuse) ou la tchiaffe (neige fondante se transformant en boue) sont encore des termes parfois employés, connaissez-vous ceux-ci : peloutzer (?) ou encore arein (?) ? Découvrez leurs significations au Musée des Ormonts…
Des témoignages incroyables
D’anciennes photos rangées au fond d’une boîte, des carnets de récits qui prennent la poussière, des histoires contées il y a longtemps et qui se taisent depuis des décennies… « Beaucoup pensent que ça n’a pas de valeur. Au contraire ! », s’exclame Virginie Duquette qui est allée à la rencontre des Ormonants pour dénicher des témoignages poignants. « Ces derniers peignent un tableau précieux de l’élan de solidarité que les catastrophes naturelles ont insufflé dans la région. Ces textes montrent surtout comment cette menace permanente a conduit les habitants, au fil des siècles, à aménager leur environnement pour s’en prémunir et s’en protéger. »
L’exposition revient donc sur 11 événements majeurs – uniquement des avalanches déclenchées naturellement – sur le territoire des Ormonts, soit 125 km2. « Pour ces événements, l’histoire connue fait mention de 430 bâtiments disparus ; à savoir des bâtiments habités ou des granges principales. Ce chiffre est en grande partie tiré de chroniques écrites. » Sans oublier les personnes décédées et les dégâts causés sur l’agriculture avec des pâturages jonchés de débris.
Les récits nous emmènent dans la dureté de la vie à la montagne : lorsque les parents devaient décider par eux-mêmes d’envoyer leurs enfants à l’école, ou non, suivant le danger d’avalanche. Lorsque les paysans prenaient des risques pour aller chercher les meules. Quand il fallait rester avec le bétail malgré le mauvais temps… Une multitude de souvenirs sont partagés et beaucoup d’autres peuvent encore l’être. « Nous avons mis une boîte à disposition pour ceux qui souhaitent y glisser des photos ou d’autres récits ; ils ont une réelle valeur historique. »
Finalement, l’exposition nous offre un regard précieux sur l’évolution des mentalités, que ce soit au niveau des habitants, mais aussi des structures telles que l’ECA, le système des secours, les cantons, etc. Le drame laisse place à l’entraide, au partage des connaissances. Des messages puissants à découvrir ; une visite aussi poignante que passionnante.
Accident d’avalanche : une course contre la montre
Chaque hiver, l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF) enregistre plus de 100 cas d’accidents d’avalanches en Suisse. Seule la moitié des personnes totalement ensevelies réchappent d’une telle situation. La mort blanche frappe 20 à 30 fois par an. La rapidité des secours est décisive pour la survie des victimes. Chaque minute compte.
Statistiques de survie (1997 – 2017)
Selon une étude du SLF, l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (WSL) et l’Université de Zürich (Department of Géographie, Groupe Geocomputation), de nos jours, la quasi-totalité des victimes d’avalanche sont des sportifs de loisir. Un chiffre stable malgré l’augmentation évidente des activités en terrain non sécurisé. Ceci en raison d’un nombre croissant de randonneurs en raquettes qui sont généralement soumis à un danger d’avalanche moindre. La plupart des accidents survenus durant la période couverte par l’étude se sont produits dans les cantons du Valais (40%) et des Grisons (29%). Dans 95% des cas, il s’agit d’avalanches de plaques déclenchées par des personnes.
En moyenne, sur le long terme, environ 58 % des personnes complètement ensevelies ont survécu. Plus de la moitié des victimes ont été localisées par leurs camarades. Il apparaît que les chances de survies sont beaucoup plus grandes pour les victimes retrouvées par leurs camarades (77%) que par les équipes de secours (moins de 28%).
Les principales étapes d’une intervention
La Rega est venue en aide à 62 patients victimes d’avalanches en 2021, 40 en 2022 et 31 en 2023. David Suchet, porte-parole de la Rega, nous explique le déroulement d’une intervention. « Tout commence par l’alarme. Les témoins ou victimes d’avalanche alertent la centrale au numéro 1414 ou via l’application. Les chefs d’intervention engagent alors immédiatement les moyens et spécialistes nécessaires. Pendant que les secours arrivent sur place, il est essentiel que les camarades de la victime commencent les recherches et dégagent les victimes. Le premier hélicoptère sur place effectue dès son arrivée une recherche. Lorsqu’aucun témoin n’a observé la coulée, les recherches à grande échelle sont menées depuis les airs grâce à un DVA (détecteur de victimes d’avalanche) ou un détecteur Recco permettant un gain de temps précieux. Des équipes cynophiles et des sauveteurs en montagne du Secours Alpin Suisse (SAS) aident l’équipage pour la recherche fine. Une fois la victime dégagée, il est fréquent qu’elle requiert une réanimation par le médecin d’urgence et l’ambulancier de la Rega. Souvent polytraumatisée et en hypothermie, elle reçoit également les premiers soins médicaux sur place avant d’être transportée à l’hôpital. »
Les différents partenaires de la Rega
« En cas d’accident d’avalanche, chaque minute compte. Les chances de survie des personnes ensevelies diminuent drastiquement après 15 minutes. Elles sont encore d’environ 90% après 15 minutes, et seulement d’environ 35% après 35 minutes. C’est pourquoi le sauvetage par les camarades sur place et une chaîne de sauvetage efficace sont d’une importance capitale. La collaboration entre les différents acteurs et la prise de décision lors du sauvetage sont déterminantes pour le succès d’une intervention », explique David Suchet.
Le principal partenaire de la Rega est le Secours Alpin Suisse (SAS). Le SAS est une fondation autonome d’utilité publique financée par ses deux fondateurs, la Rega et le Club Alpin Suisse (CAS) ainsi que par des cotisations de pouvoirs publics. Il est l’interlocuteur des cantons qui – à l’exception du Valais – lui ont confié les missions de sauvetage terrestre dans leurs montagnes. Le SAS compte 3’300 sauveteurs répartis sur 84 stations de secours et 7 associations régionales dont le SARO (Secours Alpin Suisse Romand).
La collaboration entre la Rega et le SAS revêt une importance primordiale lors de la recherche de personnes ensevelies. Le premier hélicoptère Rega sur place effectue en effet des premières recherches sur le cône d’avalanche et prend en charge médicalement les victimes. La recherche fine est ensuite réalisée par le SAS grâce à ses chefs d’intervention, ses spécialistes du secours héliporté, ses sauveteurs et ses conducteurs de chiens d’avalanche.
En Suisse, 51 chiens sont opérationnels pour le travail en avalanche, dont 8 en Suisse romande ; ils interviennent lors de chaque appel. « Les races sont principalement les bergers belges, bergers allemands, malinois, golden retriever, labradors… en raison de leur gabarit (25-35 kg) et leur sociabilité. Un chien lourd s’enfonce trop dans la neige. Il s’agit d’une formation très pointue avec un cursus formatif de 37 jours et quelque 40 formations annuelles ensuite », explique Claude Gavillet, président de l’association régionale SARO du Secours Alpin Suisse.
Pour assurer la survie des victimes, de nombreuses autres personnes interviennent. « Les patrouilleurs et collaborateurs des remontées mécaniques apportent également leur aide. Les partenaires « feux bleus » jouent un rôle essentiel dans la recherche de personnes disparues, la prise en charge de patients ou la mise à disposition de matériel. Les autres compagnies d’hélicoptères telles que Swiss Helicopter ou Air-Glaciers sont également d’importants appuis pour transporter des spécialistes et du matériel sur place », précise le porte-parole de la Rega.
Des cours avalanches pour éviter les accidents
Chaque année, des guides de montagne du CAS donnent des cours afin d’acquérir les connaissances théoriques et pratiques en matière d’avalanche, ceci afin de réaliser de manière autonome des courses hors des sentiers banalisés par danger « faible ».
Cette année, une quinzaine de cours figurent sur le site internet du CAS ; pour le ski, le snowboard et les raquettes. Sylvain Michel propose deux rencontres par an (Gemmi et Plan du Jeu pour la saison 2024/2025) de quatre jours. « Pour participer, il suffit simplement de connaître son matériel (skis, snowboard ou raquettes). Il n’est pas nécessaire d’avoir une quelconque connaissance des avalanches », explique-t-il.
La formation – avec théorie en salle et pratique sur le terrain – se divise en deux parties : comment éviter une avalanche en se servant des outils à disposition et comment gérer une situation d’avalanche. « Il est conseillé de venir avec son propre DVA. Il est aussi possible d’en louer un dans un magasin. » Finalement, il est demandé un minimum de condition physique : être capable de grimper 600 mètres de dénivelé sur une journée.
Ces formations sont le meilleur moyen d’apprendre la base. La prévention est la clé et il ne faut pas lésiner sur ce point. Savoir lire correctement un bulletin météorologique, trouver le bon tracé, évaluer correctement les risques sont autant de facteurs déterminants pour éviter les accidents. Bien que le SLF publie un bulletin actualisé deux fois par jour avec une évaluation du risque sur une échelle de 5, il est conseillé de se renseigner sur les conditions locales sur place auprès d’un bureau de guides ou du service des remontées mécaniques. Cela n’exempt pas les randonneurs de réévaluer en permanence l’évolution des conditions tout en tenant compte de l’heure et sans négliger le réchauffement diurne. « Il y a cinq éléments clés pour reconnaître les signes d’un danger : la pente (minimum 30%), la surcharge, la couche fragile, une couche fragile répandue sur une grande surface et la neige liée. » Ce ne sont là que quelques exemples des connaissances à acquérir pour diminuer les risques d’accident. Il est donc nécessaire de prendre le sujet au sérieux.
Les conseils en cas d’accident
L’équipement a son importance. La Rega rappelle que hors des pistes et itinéraires balisés, le matériel suivant doit être emporté : DVA, pelle et sonde, aides pour la montée (peaux), pharmacie de secours et téléphone portable ou radio. Le sac airbag est lui aussi conseillé car il réduit le risque d’un ensevelissement total ou partiel et augmente donc les chances de survie.
Malgré de bonnes connaissances et un matériel adapté, les risques sont tout de même présents. La Rega donne quelques conseils à ceux qui auraient le malheur de se faire emporter :
- Essayez de vous échapper latéralement, débarrassez-vous des bâtons ;
- Enclenchez les éventuels équipements de secours (airbag, etc.) ;
- Tant que la neige est en mouvement, essayez de rester en surface ;
- Avant l’arrêt de l’avalanche : ménagez-vous avec les mains une poche d’air devant le nez et la bouche pour essayer de garder les voies aériennes dégagées.
Comme nous l’avons signalé, les témoins sont essentiels à la survie des victimes. Là encore, la Rega propose quelques conseils :
- Observez l’écoulement et suivez la victime du regard (moment/point de disparition) ;
- Assurez-vous d’être vous-même en sécurité ;
- Faites un point rapide de la situation ;
- Prévenez les secours (1414 ou application Rega) ;
- Commencez la recherche.
Conclusion
Les avalanches peuvent dépasser les 300 km/h, soit la vitesse d’une formule 1. Elles créent en outre une très forte pression. Ni les arbres, ni les maisons ne peuvent résister à ces forces inimaginables. Que ce soit avec les récits des Ormonants ou les conseils des services de secours et des guides, gageons que cet article puisse éveiller les consciences et éviter des accidents.
- Photos : Z. Gallarotti – Michel Borghi - Françoise Favre – Rega – Secours Alpin Romand