Durant la nuit du 10 au 11 novembre, le châtaignier du lieu-dit Aux Plumasses, entre les villages de Glutières et d’Antagnes, s’est effondré ; cette catastrophe affecte toute une population qui rend un dernier hommage à ce feuillu multicentenaire en laissant présents et messages sur le site.

Un véritable témoin de l’histoire du sel

Cet immense châtaignier, sans doute le plus grand du canton, mesurait vingt-deux mètres de haut et huit mètres trente de circonférence. Bien qu’il fût creux et qu’il a donc été impossible de réaliser un carottage pour estimer son âge avec exactitude, son tour de taille laisse penser qu’il a été planté entre les XIV^e et XVIII^e siècles. « C’était l’arbre-phare du Sentier du Sel », rappelle Sandrina Cirafici, qui a conçu ce parcours didactique inauguré en 2008, dont deux panneaux sont consacrés à ce colosse. En effet, idéalement situé, ce Castanea a été le témoin au fil de sa croissance de la ruée sur l’or blanc qui a rendu célèbre notre région. La présidente de l’Association Cum Grano Salis remonte le temps avec nous : « A supposer que cet arbre ait atteint l’âge attribué à Gargantua, soit cinq siècles, il a dès lors vu passer le chevrier Bracaillon, précisément originaire d’Antagnes, en ce jour légendaire où il monta chercher dans la forêt deux de ses chèvres, grâce auxquelles il allait découvrir la célèbre source salée qui sera à l’origine de la première mine de sel de Suisse, creusée dès 1558 à proximité de Panex sur Ollon. »

Le géant des Plumasses a également vu passer sous ses frondaisons un autre personnage de l’histoire régionale du sel. A savoir François Gamaliel de Rovéréa, le fils d’Isaac (ingénieur des mines à l’origine de la galerie du Bouillet), lequel dressa le 8 août 1768 le tracé du saumoduc qui allait relier la mine de sel de Panex sur Ollon à la saline des Dévens sur Bex. Or, depuis deux siècles, d’énormes quantités de bois étaient nécessaires, non seulement pour alimenter le feu servant à l’évaporation des eaux de sources pour en extraire le sel, mais également pour la construction des saumoducs. Celui qui passait par Antagnes était constitué de 2233 troncs pour une longueur totale de 7,5 km. « Cette déforestation provoqua la colère des habitants du mandement d’Ollon qui tentèrent par tous les moyens d’empêcher la coupe des troncs dont ils avaient besoin pour leurs habitations, pour les nombreux chalets qui sont dans leurs pâturages et pour la construction de digues qui les défendent contre les torrents et surtout contre le Rhône », précise Sandrina Cirafici avant d’ajouter : « L’un des tronçons du saumoduc était enterré jusque dans les années 1830 au pied du géant des Plumasses. Cette canalisation est d’ailleurs à l’origine du Sentier du Sel. »

Durant des centaines d’années, de multiples générations ont profité des fruits de cet arbre ou tout simplement apprécié cet imposant feuillu. « Et qui sait s’il n’a pas surpris le fameux dahu qui hante le Sentier du Sel, comme vous le révélait la 105^e édition du Point Chablais, venu laper l’eau salée suintant d’un captage sauvage effectué sur le saumoduc par les paysans désireux de faire profiter leur bétail de ce sel ? »

Sauvé par Julien Gallet

Au début du XX^e siècle, la culture des châtaigniers étant sur le déclin, le géant des Plumasses aurait pu y laisser des plumes. Il a toutefois été épargné. D’autres arbres n’ont pas eu cette chance. À ce propos, Sandrina Cirafici cite un extrait de la Revue Heimatschutz, parue en 1908, tiré du Journal de Bex : « Entre Antagnes et Glutières, au lieu-dit Aux Plumasses (commune d’Ollon), se trouve un châtaignier d’un très grand âge. (…) Immédiatement à côté du châtaignier des Plumasses, il a été abattu un autre arbre immense de même essence mesurant 5m50 de circonférence. C’est la raison pour laquelle M. Julien Gallet, de Bex, membre du Heimatschutz, craignant pour la vie du doyen, fit les démarches pour le préserver. Le propriétaire, M. Philippe Cuttelod, de Chesières, homme intelligent et éclairé, a cédé avec beaucoup de bonne grâce, l’arbre en question à M. Gallet, ainsi que le terrain nécessaire à la vie de ses racines. Souhaitons encore une longue vie à ce respectable témoin du passé, à ce vétéran des châtaigniers vaudois. »

Sandrina Cirafici nous confie une autre anecdote : « Cet alpiniste réputé (plusieurs arêtes des Alpes suisses portent son nom) et bienfaiteur de la région avait coutume d’offrir aux écoliers méritants de Bex l’ouvrage sur « Les beaux arbres du canton de Vaud » publié en 1910, où son châtaignier était répertorié ! On y relèvera au passage la mention que son fût avait été cassé « il y a plusieurs années ». L’arbre survivra quelques cent vingt ans à cette cassure, avant de se coucher définitivement. »

Il restera dans nos cœurs, mais pas que…

Depuis son effondrement, le châtaignier des Plumasses fait parler de lui. De nombreuses personnes se sont rendues sur place pour lui rendre un dernier hommage en y déposant des bouquets de fleurs ou encore des pierres ou coquilles d’escargot dédicacées. « La plus belle épitaphe lui a d’ailleurs été dédiée par quatre fillettes qui ont écrit sur un caillou déposé au creux de son tronc : « Tu resteras dans nos cœurs », indique la présidente de l’Association Cum Grano Salis.

Contacté à propos de l’arbre, la Municipalité d’Ollon, dans sa séance du 12 décembre, a décidé de laisser la grosse partie du tronc sur place. « Celle-ci présente un large panel de biodiversité étant donné sa structure, la mousse, les lichens et les nombreuses cavités. Comme lors de son vivant, une petite barrière en bois entourera le tronc afin de ne pas encourager l’escalade de cet arbre désormais mort. Les branches et la couronne seront nettoyées et évacuées afin de laisser les jeunes châtaigniers, déjà en place, continuer de croître. Il est prévu, dans les sections, que les plus grandes des branches récupérées soient valorisées afin de créer un souvenir à l’attention de la population. Avec l’institut IN SITU VIVO, qui avait prélevé des greffons sur ce vieil arbre, nous allons mettre en culture des plants de châtaignier et les greffer avec ces souches. La plantation de ces plants sur site ne se fera pas avant une année. Pour finir, avec l’association Cum Grano Salis, nous allons mettre à jour le panneau explicatif qui est situé à proximité de cet arbre », explique Jean-Marc Mathys du service domaines-forêts de la commune d’Ollon. En attendant, la Municipalité demande à la population de ne pas aller couper ou ramasser des morceaux de ce monument.