La châtaigne : de l’arbre à l’assiette

Qui dit automne, dit châtaigne ! Un fruit tant apprécié, qui jouait un rôle important dans les ménages jusqu’au milieu du siècle dernier, aujourd’hui synonyme de fête. Récoltée, mangée, commercialisée, protégée, faisons le point sur la châtaigne chablaisienne.

 

Application de l'hypovirulent
Application de l’hypovirulent

 

Dans notre édition de juillet 2017, nous vous parlions de l’origine du chancre du châtaignier et de sa lutte ; article que vous pouvez dorénavant retrouver sur notre site internet. Ce mois-ci, nous vous proposons de faire le point sur les nouvelles mesures entreprises contre ce champignon parasite. Nous faisons également connaissance avec un groupement et une fondation qui œuvrent pour la sauvegarde des châtaigniers dans le Chablais. Finalement, nous partageons quelques bons plans pour déguster ce fruit dans la région.

 

L’actu du chancre

Depuis une bonne trentaine d’années, les châtaigniers de la vallée du Rhône sont atteints par le chancre du châtaignier, une dangereuse maladie causée principalement par le champignon Cryphonectria parasitica. Les analyses génétiques démontrent que l’agent pathogène provient généralement du sud des Alpes mais aussi depuis la France, ce qui rend particulièrement complexe la lutte biologique adaptée. Le mode d’infection est simple, le champignon profite d’une fissure ou d’une blessure de l’écorce pour s’implanter, former une infection externe et se développer vers l’intérieur et les sous-couches jusqu’au cambium (seconde écorce ou écorce intérieure). Le dessèchement du cambium interrompt localement la circulation de la sève. Si le dessèchement gagne du terrain jusqu’à entourer le tronc ou la branche, c’est la mort assurée, ce qui explique que l’on voit de nombreux vieux arbres avec des branches hautes complètement mortes.

 

Les châtaigniers ont besoin d’espace et de lumière, ils ne supportent pas la concurrence avec d’autres grandes futaies. Un élagage adapté peut sauver le vieil arbre d’un dépérissement certain. Pour les jeunes arbres il existe des méthodes plus ou moins efficaces pour traiter ou tout au moins ralentir les effets destructeurs :

 

–          La lutte mécanique qui consiste à éliminer rapidement les foyers d’infestation par la taille et l’éloignement des rameaux infectés. Le curage et la mise à nu des zones infectées pour une mise à l’air, éventuellement une désinfection à l’alcool. Dans tous les cas, il faut éviter l’exposition à l’humidité trop propice au développement du virus.

 

–          La lutte biologique, porteuse d’espoir. En Italie du Nord des souches atypiques de C. parasitica dont la virulence est atténuée furent retrouvées dans les chancres. On découvrit que cette hypovirulence était provoquée par un virus qui infecte C. parasitica. L’infection de ce dernier par l’hypovirus ralentit sa croissance dans l’écorce.

 

L’Institut fédéral de recherches WSL conduit de nombreuses actions d’essais dans le Chablais et la vallée du Rhône. L’application sur les plaies mises à nu d’une souche hypovirulente cultivée en laboratoire a donné des résultats satisfaisants. Une autre méthode consiste à vaporiser des spores de souche hypovirulente sur les plaies mises à nu. Ces deux méthodes sont bien adaptées pour le traitement d’arbres isolés, mais elles nécessitent un travail de mise à nu et d’application chronophage, donc coûteux et difficilement envisageable à large échelle.

 

Une troisième méthode dite du bois-mort est en cours d’expérimentation et laisse entrevoir de grands espoirs. Elle consiste à inoculer en laboratoire des souches hypovirulentes sur des segments de bois de 4 à 6 cm et d’environ 30 cm de long. Ces segments de bois sont ensuite fixés contre le tronc ou la branche au-dessus de la zone infectée. L’air et la pluie font le reste ; l’hypovirus affecte la zone directement concernée par ruissellement et d’autres arbres alentour peuvent bénéficier de la diffusion des spores par voie aérienne. Avec cette méthode on peut espérer qu’un jour, mais certainement dans bien des années, l’hypovirulence se généralisera naturellement.

 

Au nom de la châtaigne

Ce fruit a durant des siècles joué un rôle important dans l’alimentation et la vie des habitants du Chablais. Il remplaçait la pomme de terre tant consommée aujourd’hui. En effet, il faisait partie de l’alimentation courante des hommes et des animaux, fournissait de la farine, du tanin pour le cuir, des piquets et du chauffage. Au début des années 50, un bouleversement a radicalement modifié nos habitudes : l’arrivée des camions Migros. Depuis, la châtaigne a été reléguée au second plan.

 

Gros dégât du chancre
Gros dégât du chancre

 

Les années passant, de nombreuses châtaigneraies ont été laissées à l’abandon ; une menace de disparition plane sur le long terme et elle est accentuée par les maladies, dont principalement le chancre. C’est pourquoi, en 1995, la sauvegarde de ce patrimoine s’est organisée avec la création de la principale association castanéicole de la région : le Groupement chablaisien des propriétaires de châtaigneraies (GCPC).

 

Fort de 120 membres, le groupement a pour but la conservation et l’amélioration des surfaces de châtaigneraies. Ces dernières couvrent 276 hectares répartis sur les rives de la vallée du Rhône, entre 380 et 700 mètres. La production annuelle s’élève à plus de 20 tonnes. Le GCPC œuvre aussi pour promouvoir les meilleures variétés de châtaignes au niveau gustatif et qualitatif par la recherche constante d’une sélection de plants et de greffons. En somme, le GCPC a de nombreux objectifs : la relation avec les autorités et instances concernées, la formation et l’assistance, l’implication dans les projets de revitalisation, l’observation et la prévention, la relation avec d’autres associations et médias et la gestion d’une pépinière.

 

La fondation Castanea

En 1999, le GCPC et l’Etat de Vaud ont mis sur pied la fondation Castanea pour la gestion d’une maison à Bex, d’un verger pilote attenant de 6000 m2, le tout légué par Monsieur Reyroud. Ce dernier a chargé par testament l’Etat de Vaud de transmettre ses biens à une association qui œuvre dans le but de maintenir et promouvoir la culture du châtaignier dans le Chablais. En prime, une forêt de 4’500 m2 de vieux châtaigniers à Collombey a été cédée à la fondation par une famille chablaisienne.

 

Depuis, la maison a été rénovée grâce à plusieurs donateurs. Elle sert aujourd’hui pour des formations techniques, pour des rencontres et festivités, mais également de local pour la récolte, le tri et le conditionnement des fruits apportés par les membres du GCPC. La récolte des terrains appartenant à la fondation, soit en moyenne 3’200 kilos par an, est quant à elle en grande partie consommée ou commercialisée par les producteurs, tandis qu’une partie est laissée au sol au profit des animaux.

 

Se prendre une châtaigne

Il faut le prendre au pied de la lettre ! En effet, à Bex il est aisé de déguster ce fruit, notamment le 23 octobre lors de la fête de la châtaigne organisée par la Société Coopérative Vinicole de Bex en collaboration avec les vignerons locaux : les caves du Courset, Rapaz Frères, du Scex et du Luissalet. Les participants seront d’abord invités à traverser les vignes de la colline du Montet et sa châtaigneraie. Sur le parcours : du vin et des châtaignes, bien entendu !

 

Les festivités se poursuivront à la Grande Salle avec la brisolée et une ambiance musicale. Il sera en outre possible de déguster le nouveau millésime ainsi que des vins primés récemment. Côté nourriture, les châtaignes proviennent de la fondation Castanea, le fromage de Bovonne de la laiterie Bellon et la viande de la boucherie la Chablaisienne. Le terroir local, dans le verre et dans l’assiette… « what else ? »

 

En septembre et en octobre, la Municipalité de Bex délivre également des autorisations pour aller cueillir gratuitement ce fruit tant apprécié. Ainsi, les intéressés peuvent profiter de deux châtaigneraies : la colline du Montet et la colline de Chiètres. L’autorisation est valable un jour, pour une personne et permet de récolter trois kilos de châtaignes. L’an dernier, 150 demandes ont été faites. Il est bon de préciser que chaque personne a le droit de demander maximum trois autorisations par année au secrétariat municipal ; car il en faut pour tout le monde !

 

Du côté d’Aigle, la population peut elle aussi profiter d’une châtaigneraie plantée il y a 21 ans au Larrevoin.

Informations

Groupement chablaisien des propriétaires de châtaigneraies :
www.castanea-chablais.ch

Note : Les explications indiquées dans le paragraphe « L’actu du chancre » sont tirées de documents de l’Institut fédéral de recherches WSL. Une partie de l’article sera publié sur le site du GCPC cet automne)

Le chancre du châtaignier : traitement en cours

Publié en juillet 2017

Article écrit par : P-A. Pichard et P. Mandofia 

Dans la région du Chablais, de nombreux châtaigniers sont atteints par le chancre de l’écorce et présentent des signes de dépérissement. Il s’agit d’une infestation de plusieurs années par le champignon Cryphonectria parasitica.

 

Elagage modéré
Elagage modéré

 

Cryphonectria parasitica, les symptômes de la maladie

Le chancre de l’écorce ou Cryphonectria parasitica, est un champignon parasite qui libère des spores pouvant être propagées de différentes manières au sein d’une châtaigneraie. Quand les spores rencontrent une voie de pénétration dans l’écorce, suite à une blessure ou une simple fissure, le champignon attaque l’écorce et le cambium, une des couches faisant partie du tronc du châtaignier. L’écorce infestée rougit, s’enfonce et se fissure; la circulation de l’eau et des éléments nutritifs est interrompue tandis que l’arbre lutte pour cicatriser les tissus. Selon l’étendue de la zone infestée il y a une forte probabilité que la partie privée de nutriments dépérisse et meure. 

 

Ses origines, de l’Asie à Choëx

Au début du XXe siècle le champignon fut introduit en Amérique du Nord à travers du matériel végétal provenant de l’Asie de l’Est. Il déclencha une épidémie dévastatrice des châtaigneraies de l’est des USA. Ensuite, par le biais d’importations de bois des Etats-Unis vers l’Europe, en passant par l’Italie et se propageant rapidement dans les régions limitrophes, en 1948 le champignon débarqua en Suisse, notamment au Tessin. C’est en 1989 que toutes les aires de répartition du châtaignier au nord des Alpes sont concernées par la propagation de ce fléau dévastateur. Dans le Chablais, la première apparition fut à Choëx.  

 

Une évolution plus bénigne

Bien que tous les châtaigniers d’Europe soient concernés, l’épidémie se présente moins dramatiquement en Europe qu’aux Etats-Unis. Le châtaignier d’Europe, Castanea sativa, semble moins vulnérable que celui d’Amérique, Castanea dentata. L’apparition spontanée de souches de champignon à la virulence atténuée, hypovirulence, se traduit par une évolution plus bénigne de la maladie au sud des Alpes.

 

Mesures préventives

Dans le Chablais, le WSL – Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage -, effectue régulièrement un suivi des selves et vergers forestiers. Une identification précoce des arbres attaqués, en particulier les jeunes arbres, est essentielle. Contrairement aux plus anciens, les jeunes arbres qui subissent une attaque sont privés très rapidement du tronc ou des branches principales et sont condamnés, en quelques mois, à périr. Une «mise à l’air» de la zone infestée est la première mesure à appliquer.

 

Grave attaque sur un vieil arbre
Grave attaque sur un vieil arbre

 

Mesures de lutte biologique

Si le chancre de l’écorce du châtaignier est répandu il faut recourir à la lutte biologique. Des souches de champignons hypovirulentes de C. parasitica infestées par le virus sont alors inoculées de façon ciblée dans les chancres. Dans la plupart des cas, elles ralentissent la croissance et se limitent à l’écorce, évitant la destruction du cambium et des faisceaux vasculaires de l’arbre. Les chancres se cicatrisent ou restent superficiels sans effet destructeur pour l’arbre. Il y a des différences sensibles entre les souches de champignons, ce qui complique la tâche des acteurs de la lutte qui doivent discerner et appliquer l’hypovirulence adéquate.

 

Action en cours dans le Chablais

Le Groupement des propriétaires de châtaigneraies du Chablais, GCPC, fondé en 1995, s’est fort investi dans la lutte contre ce fléau dévastateur afin d’assurer la pérennité de ces joyaux de biodiversité, nos châtaigneraies. En effet depuis le XIIIe siècle le châtaignier a tenu un rôle majeur pour la population comme source de nourriture, de bois pour la construction, les clôtures ainsi que le tanin pour le cuir. Ceci n’étant qu’un maigre tour d’horizon de ce que la châtaigneraie nous offre.

 

Jean-Claude David-Rogeat

A St-Triphon, Jean-Claude David-Rogeat a été un pionnier en la matière. Il a su approfondir ses connaissances et développer un réseau de collaboration avec les milieux concernés en Suisse et les régions limitrophes. Il a également développé une méthode d’application des souches d’hypovirulence qui est en voie d’être vulgarisée.

 

Actuellement, une campagne est en cours pour définir la suite d’un programme d’inoculation de virus. La collaboration entre le GCPC, le WSL et les cantons de Vaud et Valais s’intensifie afin de passer d’une phase de traitement ciblée vers une phase active de vulgarisation de la lutte. Il consiste, sur la base de l’inventaire des parcelles, de déterminer les besoins et les priorités. En 2017 le WSL traitera en priorité les jeunes arbres. Une extension de l’action sur les vieux arbres sera envisagée à partir de 2018.

 

Zone traitée
Zone traitée

 

Paul-André Pichard

Chargé de relations du GCPC ainsi que renommé pour son talent de photographe, Paul-André Pichard est la source de ces informations. Un grand merci à lui d’avoir partagé ses connaissances avec «Le Point Chablais».

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Article écrit par

Zoé Gallarotti

Zoé Gallarotti

Rédactrice en chef

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