L’automne dans nos assiettes

L’automne arrive à grands pas. Pour fêter cette saison aux mille senteurs, l’archéologue Sandrina Cirafici a remonté le temps pour retrouver les mets appréciés dans le Chablais ; un voyage de près de 30’000 ans !

 

Salle à manger d’Albert de Haller sur le site de l’ancienne saline de Roche
Salle à manger d’Albert de Haller sur le site de l’ancienne saline de Roche

 

Repas préhistoriques

Au Paléolithique moyen, le glacier du Rhône culminait à plus de 1000 mètres. Les Néandertaliens faisaient alors halte dans des grottes et abris sous roche comme celui de Tanay, dans le Chablais valaisan (1600 mètres d’altitude). Ils dégustaient des bouquetins, des cerfs ou encore des chamois.

Il y a 15’000 ans, alors que le glacier, en se retirant, a libéré la « tête du lac » – caput laci en latin, d’où vient le mot « Chablais », les Cro-Magnons se régalaient quant à eux de rennes et de chevaux.

3’000 ans avant notre hère, les Homo sapiens, devenus paysans, cuisaient leur viande, plus précisément des chèvres et des moutons, avec du gruau dans des vases en argile. Pour preuve, un vase avec empreintes digitales a été retrouvé au creux de l’abri sous roche des Mûriers, au pied de la colline de Chiètres, à Bex. Il se trouve au Musée national de Zürich.

Pour redonner vie à ces incroyables découvertes, Sandrina Cirafici livre une recette, le millet au miel (voir plus loin dans l’article). « Elle se cuisinait il y a 4000 ans, à l’époque dite de la « Civilisation du Rhône », où l’épeautre, le millet et la fève complétaient les menus à base de céréales, de produits laitiers, de fruits et de légumes », explique-t-elle.

 

Portrait d’Albert de Haller peint par Sigmund Freudenberger en 1773
Portrait d’Albert de Haller peint par Sigmund Freudenberger en 1773

 

Au menu des salines du XVIIe siècle

La conceptrice du Sentier du Sel ne pouvait pas passer à côté de ce pan plus qu’important de l’histoire du Chablais. Elle cite les denrées étonnantes que les « facteurs » (régisseurs) des salines de Roche et de Panex sur Ollon consommaient à cette époque, après avoir scrupuleusement noté les dépenses pour leur nourriture !

 

Commençons avec Roche avec une consommation très variée et en partie issue de l’importation. Du côté des poissons, nous retrouvons : morues, harengs, écrevisses, brochets, anchois, poissons de rivière, carpes. Pour les viandes : poules, chapons, perdrix, canards sauvages, poules d’eau, pigeons, oies des neiges, lièvres, faisans, cerfs, hermines, veaux, bœufs, cochons de lait, moutons, cabris, vaches, sous forme de rôtis, langues ou tripes. Escargots et champignons faisaient également partie des menus. Tout comme : beurre et fromage frais, crème, lait et fromage de chèvre. Côté légumes, il y en avait pour tous les goûts : petits oignons, carottes rouges ou blanches, salades de rampon, cresson de fontaine, radis, artichauts, pois secs, choux, fenouils, salsifis, salades de houblon. Viennent compléter la liste : châtaigne, farine, gruau, orge broyé, avoine, sarrasin, riz, mais également câpres et olives. Pour le dessert, le choix était aussi gourmand : cerises séchées, amandes, noisettes, pruneaux et raisins secs, poires, pommes, grenades, fraises, groseilles, citrons, oranges, prunes, coings, figues. Sans oublier bien sûr : bricelets, biscuits, petits fours, biscuits roulés. Mais également : miel, sucre candi, eau de rose. Le tout assaisonné de : clous de girofles, safran, cannelle, cumin, moutarde, poivre, coriandre, gingembre, muscade, anis, et agrémenté d’eau de vie, de bière, de cidre doux et de moût.

 

Alexandre Dumas (à gauche) s’apprêtant à pêcher une truite dans l’Avançon à Bex. Gravure d’Eugène-Noel Sotain
Alexandre Dumas (à gauche) s’apprêtant à pêcher une truite dans l’Avançon à Bex. Gravure d’Eugène-Noel Sotain

 

A la saline de Panex, l’on mangeait moins de variétés de poissons, de viandes, de fruits et de légumes, et moins de produits exotiques et luxueux. Par contre, y étaient consommés chamois, marmottes et coqs de bruyère, arrosés de vin d’Hypocras.

 

Une anecdote gourmande

Avant de poursuivre ce menu plus qu’alléchant, toujours au cœur de l’histoire des mines de sel, Sandrina Cirafici nous offre une histoire pour le moins rigolote. Le 24 juin 1760, Casanova partagea à la saline de Roche un repas avec Albert de Haller, alors directeur des mines et salines du Gouvernement d’Aigle. Le séducteur vénitien releva que la table y était bonne et abondante. Comme de Haller aimait la bonne chère, sa troisième épouse mettait souvent la main à la pâte en portant un voile vert et des gants ! A noter qu’Albert de Haller effectuera de nombreuses recherches physiologiques, en particulier sur les glandes salivaires et l’action des sucs digestifs…

 

A la carte des hôtels de Bex-les-Bains

La présidente de l’Association Cum Grano Salis ne manque pas d’ajouter son grain de sel en retraçant les mets proposés dans les hôtels de Bex : tel le chamois apprêté à l’Hôtel de l’Union, qui marquera, en 1805, la mémoire gustative de l’épouse de Chateaubriand. Mais aussi la truite apprêtée pour Alexandre Dumas dans le même hôtel lors de son passage en 1832. Ce mets titillera à tel point les papilles du gourmet que ce dernier relatera, dans ses Impressions de voyage en Suisse, comment on les pêchait de nuit dans l’Avançon. Pour ce faire, il fallait ôter son pantalon et employer une lanterne submersible et une serpe. Une technique sortie toutefois de l’imagination débordante du futur auteur des Trois Mousquetaires. Finalement, relevons la viande servie à la table de Sissi au Grand Hôtel des Salines, jugée trop dure par l’impératrice, qui renoncera à y prolonger son séjour pour se rendre à Genève, où elle sera assassinée 9 jours plus tard…

 

Salle à manger du Grand Hôtel des Salines. Dépliant du Grand Hôtel Salines & Golf
Salle à manger du Grand Hôtel des Salines. Dépliant du Grand Hôtel Salines & Golf

 

Coques en stock

Qui dit Chablais, dit aussi ses fruits à coques. L’ancienne conservatrice du Musée historique du Chablais ne saurait passer sous silence les incontournables de la région, à savoir les châtaignes et les noix. Ces dernières sont « gremaillées » (écalées) en automne et transformées en « nillon », résidu solide du pressage. Bien entendu, Sandrina Cirafici nous réserve une nouvelle anecdote… savoureuse. « Dans un galetas, deux cercueils furent remplis de noix. Un jour, l’un fut vidé, pour y mettre la grand-mère, et le descendre au cimetière peu après. Arrivé le temps des gremailles, il fut constaté que ce sont les noix qui avaient été enterrées et que la grand-mère se trouvait toujours dans le galetas ! », nous confie-t-elle le sourire aux lèvres.  

 

Gremailles
Gremailles

 

Place enfin aux châtaignes, que l’on surnommait « pain » ou « viande des pauvres », croquées crues par Alexandre Dumas, ce qui lui fait risquer, selon le médecin du XIe siècle Siméon Seth, « grosses et épaisses humeurs, ventosités, douleurs de tête et resserrement de ventre ». Préférons les châtaignes rôties dans le brisoloir et accompagnées de fromage, viande séchée et compote de pommes. Ou pilées avec de la crème et du sucre, étalées sur une mince couche de pâte, saupoudrées de citronnat coupé fin et garnies de petites bandes de pâtes enduites de jaune d’œuf avant de les cuire au four. Ces fruits gourmands étaient abattus avec de longues perches et ramassés avec des pincettes en bois. Les châtaignes étaient ensuite étalées sur des draps jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent d’elles-mêmes au soleil. Pas bête !

 

Remerciements

Un immense merci à la Bellerine Sandrina Cirafici qui s’est plongée au cœur de l’art culinaire du Chablais à travers les millénaires. Nous lui devons chacune de ces trouvailles gourmandes, chacune de ces anecdotes savoureuses ! Un voyage passionnant dans l’histoire de notre région. Mais aussi un sujet passionnant qui nous ramène à l’aphorisme de Jean Anthelme Brillat-Savarin (avocat et gastronome) publié en 1825 dans son œuvre, la Physiologie du goût, ou Méditations de Gastronomie Transcendante : « Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es ».

Quelques recettes intemporelles

Millet au miel

Ingrédients :

  • 5 tasses d’eau ou de petit lait
  • 1 tasse de millet
  • 1 tasse de noisettes
  • 2 cuillères à soupe de miel
  • Éventuellement 2 cuillères à soupe de crème

 

Préparation :

Jeter le millet dans de l’eau bouillante et laisser cuire environ 30 minutes. Griller les noisettes et les écraser (elles se pilent facilement sur une pierre plate, à l’aide d’un galet). Avant de servir, ajouter les noisettes, le miel, et éventuellement un peu de crème.

 

Zigouille moustique (Saint-Maurice)

Ingrédients :

  • 400 g de mie de pain
  • 1 dl de lait
  • 3 dl de crème
  • 6 œufs
  • Sel, poivre, muscade
  • 1 dl de vin blanc

 

Préparation :

Couper la mie en petits morceaux, faire tremper dans la crème et le lait, ajouter les œufs, le vin et les condiments. Bien mélanger, verser dans un plat à gratin beurré, cuire 1h15 dans le four préchauffé à 160°C.

 

Béton (Bex)

Ingrédients :

  • 1 l de lait entier (béton : lait consommable de la seconde traite de la vache ayant mis bas)
  • 3 cuillères à soupe de farine
  • 1 oignon émincé
  • 1 brin de persil haché
  • 250 g de fromage râpé
  • 3 œufs
  • Sel, poivre

 

Préparation :

Mélanger le tout dans un bol, verser dans un plat à gratin, cuire 1h dans le four préchauffé.

 

Gâteau au nillon (Bex)

Ingrédients :

  • 250 g de pâte brisée
  • 100 g de nillon
  • 5 dl de lait
  • 1 cuillère à soupe de farine
  • 2 cuillères à soupe de raisiné
  • 3 cuillères à soupe de sucre
  • 1 cuillères à soupe d’huile de noix ou 2 cuillères à soupe de confiture de pruneaux

 

Préparation :

Râper au couteau le nillon et le laisser gonfler une demi-journée ou une nuit dans une terrine avec le lait. Ajouter la farine, le raisiné, 2 cuillères à soupe de sucre et la crème, et mélanger jusqu’à ce que la masse soit bien coulante. Verser sur la pâte brisée, saupoudrer d’1 cuillère à soupe de sucre et arroser d’huile de noix. Cuire 20 à 30 minutes dans le four préchauffé à 230°C.

 

Salée (Les Ormonts)

Ingrédients :

  • 300 g de farine
  • ½ cuillère à café de sel
  • 1 cuillère à soupe de sucre
  • 15 g de levure
  • 2 dl de lait
  • 40 g de beurre

 

Préparation :

Mélanger la farine et le sel, délayer sucre et levure et verser sur la farine. Tiédir le lait, y faire fondre le beurre, incorporer le tout. Pétrir en formant un pain et laisser doubler de volume. Abaisser la pâte pas trop finement sur une plaque, et piquer généreusement avec une fourchette. Ajouter une petite couche de farine, une fine couche de beurre, 200 g de sucre brun, arroser avec un peu de crème, ajouter une 2e couche de farine, recouvrir d’une autre couche de beurre, saupoudrer le tout de cannelle. Cuire environ 30 minutes dans le four préchauffé à 200°C.

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Sandrina Cirafici et Zoé Gallarotti

Sandrina Cirafici et Zoé Gallarotti

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