Une journée dans la peau d’un ambulancier

Il s’appelle Lucas Pilloud, il a 26 ans, il vit à Aigle et il est ambulancier. Nous avons plongé dans son quotidien le temps d’une journée passionnante et pleine de surprises.   

 

Dans l’ambulance, sur le départ pour la première intervention de la journée
Dans l’ambulance, sur le départ pour la première intervention de la journée

 

La chaîne des secours dans le canton de Vaud

Avant de vous conter cette incroyable journée, il est bon d’éclaircir certains points, à commencer par la chaîne des secours. En effet, cette dernière est complexe. Le modèle vaudois de l’organisation des urgences préhospitalières comporte tout d’abord une centrale d’engagement (le 144 – numéro attribué aux appels sanitaires urgents pour l’ensemble du pays) qui détermine le niveau de priorité pour ensuite engager les moyens appropriés. À ce titre, il existe six types d’engagement, du plus urgent (P1 – prise en charge d’une personne dont les fonctions vitales sont probablement atteintes) au secondaire (S3 – transfert d’un patient stable sans particularité). En 2020, la Centrale 144 a comptabilisé pas loin de 70’000 missions dont 37% était des P2 et 22% des P1.

 

La Centrale envoie ensuite sur place les moyens de secours adéquats : des services d’ambulances, des services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR), un hélicoptère médicalisé (REGA), un réseau de médecins de premier recours comme renforts médicaux d’urgence (REMU) ou des médecins de garde associés à un réseau hospitalier constitué d’un centre hospitalier universitaire et d’hôpitaux périphériques.

 

L’Unité de Secours Régional

Près de 30’000 interventions par ambulance ont lieu chaque année dans le canton de Vaud, dont 30 à 40% dans la région Lausannoise. Il existe différents services qui mettent à disposition des véhicules et des personnes formées. Bien qu’il s’agisse d’entités indépendantes, ces services sont soumis aux mêmes réglementations, que ce soit au niveau de la formation, du matériel, des uniformes et des véhicules. Ils sont également tous certifiés par le canton ainsi que par l’IAS (Interassociation de sauvetage).

 

Lucas Pilloud travaille pour USR ambulances (Unité de Secours Régional) qui dispose de deux centrales : à Villars-Sainte-Croix et à Lausanne. La seconde centrale tourne uniquement la journée, essentiellement pour des missions de ville. Au total, USR ambulances dispose de 11 véhicules (pour les urgences et pour les transferts inter-hospitaliers) et sa zone d’action s’étend sur Lausanne, l’Est lausannois, le district de Morges, le Gros de Vaud et le Pied du Jura.

 

Depuis mars 2022, USR ambulances a intégré la société TCS Swiss Ambulance Rescue. Active dans les cantons de Genève, Vaud, Zurich, Argovie et Zoug, cette entreprise du Groupe TCS est le plus grand acteur suisse dans le domaine du secours d’urgence et du transport sanitaire.

 

Un métier qui ne connaît pas la routine

Trouver sa voie n’est pas toujours évident. Lucas Pilloud avait comme objectif de choisir un métier sans routine, avec le contact humain et dans le domaine de la santé, mais pas dans un hôpital ou dans un centre médical. « En fonctionnant par élimination, j’ai trouvé ce que je voulais faire », indique-t-il. Et il ne s’est pas trompé ; dans ce métier, les journées se suivent mais ne se ressemblent pas. Après une formation en cours d’emploi durant trois ans, l’Aiglon a intégré USR ambulances en 2019. Aujourd’hui, en plus de sa casquette d’ambulancier, il est responsable informatique et télématique ; un dicastère qui lui convient très bien. Quand on lui demande ce qui lui plaît le plus dans son métier, il répond « le travail d’équipe ». Il ne manque pas de souligner la bonne entente qu’il entretient avec sa collègue du jour, Marion Perrin.

 

Une journée avec Lucas Pilloud

Maintenant que les présentations sont faites, revenons sur cette journée hors du commun !

 

En route pour Villars-Sainte-Croix

4h45 : mon réveil sonne. Les yeux encore collés, je m’habille en vitesse ; je suis impatiente. Je rejoins notre photographe, Bernard Gallarotti, et nous partons ensemble pour Villars-Sainte-Croix. Une fois sur le site (en avance et l’estomac vide !), nous sommes accueillis chaleureusement par Lucas Pilloud qui est déjà présent. Nous rencontrons l’équipe de nuit qui est sur le départ, ainsi que l’équipe de jour.

 

Des horaires difficiles

6h30 : Après un rapide tour du propriétaire, nous prenons place à l’étage, autour d’une table, et débutons l’interview. USR ambulances emploie au total une trentaine de personnes. Chaque jour (de 7 à 19 heures), trois binômes sont de piquet : deux à Villars-Sainte-Croix qui se partagent les interventions et un à Lausanne. La nuit (de 19 à 7 heures), seul un binôme est de garde à Villars-Sainte-Croix. Des horaires difficiles et en alternance. Cela ne semble pas déranger Lucas Pilloud qui a la chance de partager sa vie avec une fille qui pratique un métier aux horaires similaires.

 

Une vision erronée de la profession

7h06 : Pas le temps de poursuivre l’interview, une alerte (P1) est transmise sur un téléphone portable. Pas d’alarme à vous rendre sourd, ni de lumière rouge qui clignote. « C’est dans les films ou les émissions françaises qu’on voit ça ! », explique l’Aiglon. Lucas Pilloud et Marion Perrin se préparent dans le calme. « Nous ne courrons pas, ça ne sert à rien. Un ambulancier qui arrive essoufflé sur le lieu d’une intervention est inefficace. En prime, notre rôle est aussi d’amener le calme, d’apaiser des situations. Cela ne nous empêche pas d’être rapides et efficaces dans nos gestes. » La réalité est donc bien différente de la fiction. « Beaucoup de personnes ne vont pas jusqu’au bout de leur formation, car elles ont une vision erronée de cette profession. »

 

Pas les seuls observateurs

7h10 : Les deux ambulanciers partent donc en compagnie du photographe. Si c’est ce service qui a été appelé, c’est qu’il peut être sur place en maximum 15 minutes en zone urbaine ou 20 minutes en zone rurale. Il n’y a qu’une place « spectateur » dans le véhicule, je dois donc attendre mon tour. J’en profite pour papoter avec les personnes présentes. J’apprends que régulièrement il y a des observateurs, mais nous sommes toutefois le premier média à s’intéresser à leur quotidien. Aujourd’hui, une stagiaire est présente. Stagiaires ou encore étudiants se succèdent dans le service ; ils sont régulièrement envoyés par l’une des trois écoles romandes.

 

Retour de l’ambulance

8h27 : Le véhicule rentre au bercail et le photographe a pu prendre toutes les images qu’il désirait, en conservant l’anonymat de la victime bien sûr. Il s’agissait d’une jeune femme de 23 ans qui avait des vertiges, des douleurs au ventre, des vomissements et qui ne tenait pas debout. L’urgence P1 est passée en P2 durant l’intervention. « Dans ce genre de situation, notre rôle est d’exclure les risques vitaux, traiter les symptômes et rediriger le patient auprès des bonnes structures ; l’hôpital en l’occurrence », résume Lucas Pilloud.

 

Lucas Pilloud prend en charge la patiente
Lucas Pilloud prend en charge la patiente
(La patiente est emmenée à l’hôpital
(La patiente est emmenée à l’hôpital

 

Sur la route

8h40 : L’interview peut donc reprendre, en attendant la prochaine alerte. Dans un véhicule en intervention il y a au minimum un ambulancier (formation de trois ans) et un technicien ambulancier (formation d’un an) ou alors un binôme d’ambulanciers. Notons que des formations continues doivent être suivies plusieurs fois par an. Quant à savoir qui conduit, cela se fait en alternance ; le patient est toutefois pris en charge par les deux secouristes. Mais revenons-en à la conduite. Car il y a bien une question qui est sur le bout de nos lèvres et elle concerne les limitations de vitesse. « Nous avons suivi des cours de conduite. Il ne faut pas oublier que nous avons entre nos mains un véhicule qui pèse cinq tonnes ; nous dépassons donc rarement les limitations. Nous devons être prudents et adopter une conduite fluide. Plutôt que de rouler rapidement, nous avons meilleur temps d’être efficients dans nos missions, comme par exemple trouver rapidement le lieu de l’intervention. Ce dernier, ainsi que d’autres informations comme l’état de la victime, est automatiquement envoyé par le 144 sur une tablette située dans l’ambulance », précise Lucas Pilloud. Il est bon de relever que le conducteur flashé par un radar lors d’une intervention qui n’est pas classée P1 doit lui-même passer à la caisse !

 

Entre deux missions

9h50 : Entre deux missions, pas le temps de chômer. Il est temps de faire l’inventaire, contrôler que le matériel est complet et que les produits ne sont pas passés de date. Il faut également nettoyer les véhicules, les locaux, faire la lessive et gérer son dicastère respectif pour ceux qui ont en un. Une fois les tâches accomplies, une salle de repos est à disposition ; il ne faut pas oublier qu’il s’agit de services de 12 heures. Pendant ce temps, le second binôme de la centrale est appelé. Il revient rapidement ; il s’agissait d’une simple coupure au doigt qui ne méritait pas l’appel d’une ambulance…

 

On mange quand on peut

10h30 : Nous commandons thaïlandais. Mon estomac crie famine ; je n’ai mangé qu’un croissant au jambon ramené par le photographe après son intervention. « J’espère que ça ne te gêne pas ? », me demande Lucas Pilloud avant d’ajouter : « Nous mangeons toujours en dehors des heures de repas ici. » Ça ne me dérange absolument pas, bien au contraire ! En effet, et je vais l’apprendre par la suite, il faut profiter de chaque instant de calme pour manger, aller aux toilettes ou se reposer, car nous ne savons jamais pour combien de temps nous allons être de sortie ; même si une intervention dure en moyenne deux heures.

 

Une nouvelle alerte

10h40 : Une nouvelle alerte ; le repas va donc attendre car, cette fois-ci, c’est mon tour ! C’est étrange, voire dérangeant, de se réjouir ainsi, car il s’agit tout de même d’une personne en détresse. Mais la curiosité l’emporte. Nous partons donc pour une P2. Une fois en route, l’urgence se transforme en P1 ; la sirène est enclenchée. Une poignée de secondes plus tard, nous sommes prévenus que notre intervention est annulée car une autre équipe peut se rendre plus rapidement sur les lieux. Alors que nous faisons demi-tour, un déplacement stratégique est demandé sur le secteur d’Aubonne ; lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’ambulances dans un secteur, cela permet d’assurer une présence en cas d’alerte. En 2021, USR ambulances a comptabilisé 282 déplacements stratégiques. Pour conclure dans le même esprit, la demande est elle aussi annulée rapidement.

 

Des patients reconnaissants… ou mécontents

10h55 : Nous sommes de retour à Villars-Sainte-Croix. Je ne suis finalement pas mécontente de rentrer. Je peux profiter de mon repas qui vient tout juste d’arriver. L’occasion également d’en savoir un peu plus sur les personnes secourues. J’en profite pour demander si les ambulanciers gardent des contacts avec elles ou s’ils savent ce qu’elles sont devenues. « En règle générale non ; nous ne prenons pas de nouvelles car c’est trop intrusif. Mais il arrive que certains patients nous en donnent. Par exemple, après avoir fait accoucher une femme, une personne de la famille est venue avec l’enfant à la centrale avec des photos et des cadeaux », se souvient Lucas Pilloud. Mais il y a aussi le revers de la médaille… « Nous enregistrons de plus en plus de plaintes de personnes mécontentes de nos services. Certains ne désiraient pas d’ambulance et ne voulaient pas payer la facture, d’autres ne sont pas satisfaits de la prise en charge. Il arrive souvent que ce soit des proches qui se plaignent, plutôt que la personne secourue elle-même. Fort heureusement ça va rarement au pénal. »

 

Soutien psychologique

11h40 : L’estomac plein, la fatigue commence à se faire ressentir ; enfin seulement pour le photographe et moi-même, les autres ont l’habitude ! Un autre sujet est abordé : l’impact psychologique que peuvent avoir certaines missions. « Nous sommes amenés à réaliser des interventions choquantes, après c’est ce qu’on en fait qui est important. De mon côté, ce qui m’atteint le plus, ce sont les maladies incurables chez les jeunes de mon âge et qui ont parfois des équipements médicaux très lourds. C’est difficile, car on s’identifie facilement. Nous disposons d’une unité de débriefing ; un psychologue peut intervenir sur demande. De mon côté, je n’en ai encore jamais eu besoin, mais c’est rassurant de savoir qu’il existe cette aide. Bien souvent ce n’est pas une situation type, mais une accumulation de plusieurs interventions lourdes qui déstabilise un secouriste. »

 

Cette fois c’est la bonne

12h50 : Encore une alerte (P1), une détresse respiratoire d’une femme de 102 ans dans un EMS ; elle a fait une fausse route en mangeant sa soupe. Lucas Pilloud est au volant, la sirène en marche. Dans l’établissement, nous découvrons une personne consciente, mais incohérente, sous oxygène. Les deux ambulanciers se montrent très calmes, rassurants et chaque geste est expliqué à haute voix. Tout en prodiguant les premiers secours, ils posent des questions à l’infirmière sur place afin d’en savoir plus sur la patiente : « S’exprime-t-elle de façon normale habituellement ? Quel est son état de santé général ? Que s’est-il passé ? ». Pendant ce temps, un médecin et un infirmier du SMUR arrivent. Le SMUR est engagé par le 144 en appui médical lorsque les situations présentent une certaine gravité. Il intervient généralement pour des problèmes cardiaques, respiratoires ou neurologiques. L’état de la patiente ne s’améliorant pas, les équipes de secours l’installent sur un brancard afin de l’emmener à l’hôpital. La directrice de l’EMS interrompt la manœuvre. Les dernières volontés de la résidente sont : pas d’acharnement médical et ne pas s’éteindre à l’hôpital. N’ayant plus de famille, c’est l’EMS qui doit veiller à exaucer ses demandes. Le médecin référent de l’établissement donne son accord ; la patiente est réinstallée dans son lit.

 

Départ en ambulance pour la deuxième intervention de la journée
Départ en ambulance pour la deuxième intervention de la journée

 

Conclusion

13h53 : Intervention terminée, nous retournons à Villars-Sainte-Croix. La journée prend fin pour le Point Chablais, alors que Lucas Pilloud et Marion Perrin poursuivront jusqu’à 19 heures. Si je devais choisir un mot pour résumer cette expérience, ce serait : passionnant. Mon moment préféré était sans aucun doute le trajet en ambulance, la sirène qui chante ! Mais j’ai adoré chaque instant et j’ai fait la connaissance d’une équipe fort sympathique qui fait un travail extraordinaire. Peut-être verrez-vous dorénavant les ambulanciers sous un nouveau jour !

 

Durant le temps libre, l’inventaire est fait
Durant le temps libre, l’inventaire est fait
Partagez l'article
Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Thêmes

Article écrit par

Zoé Gallarotti

Zoé Gallarotti

Rédactrice en chef

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Annonces

Dans la même catégorie

Point Chablais
Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn