Une histoire bouleversante, voici comment résumer le livre « Guerino 1942 », le journal de bord d’un Aiglon d’origine piémontaise qui a rejoint l’armée italienne durant la Seconde Guerre mondiale.

La famille Morezzi, originaire de Masserano, plus précisément d’une « frazione » — une localité rattachée à la commune — appelée Morezzi, s’installe à Aigle en 1880. Guerino grandit donc, avec ses deux frères et sa sœur, dans le chef-lieu du district pendant l’entre-deux-guerres. Il traverse les années trente, marquées en Suisse par la crise économique et la montée des mouvements fascisants. Adulte, il exerce, comme l’un de ses frères, le métier de plâtrier-peintre et travaille notamment sur l’entretien du Grand Hôtel d’Aigle.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Guerino, comme plusieurs de ses amis, se porte volontaire pour rejoindre l’armée italienne. En 1942, alors qu’il est âgé de 25 ans, son vœu est exaucé. Il ne reviendra jamais au pays. Son décès ne sera officiellement annoncé que le 27 décembre 1954. Près de huitante ans plus tard, alors qu’un profond silence s’est abattu sur son nom et son histoire au sein de la famille, l’agenda de l’année 1942 de Guerino est retrouvé par son neveu, Raphaël Morezzi. « Nos parents nous ont privés d’une partie de leur histoire qui est aussi pourtant la nôtre à ma sœur et à moi », confie-t-il avant d’ajouter : « Consciente ou non, cette omerta reflète peut-être une certaine colère de ses parents, sa mort ayant été traumatisante. » En effet, Guerino était le seul membre de la famille à s’être porté volontaire. « Ses amis, qui eux sont rentrés au pays, adoptaient le même mutisme concernant la guerre. Lorsque j’étais enfant, certains me prenaient dans leurs bras et pleuraient. Peut-être que je leur rappelais mon oncle. »
Cet agenda, trouvé dans un carton à la mort du père de Raphaël Morezzi, Albert, est le dernier témoin de l’histoire de cette famille. Un véritable trésor qu’il fallait partager. Paru en mars dernier, le livre, tiré à 250 exemplaires, comporte donc l’histoire de ce personnage très attachant durant l’année 1942. Sur les pages de gauche figurent les textes originaux, avec le style propre, les imperfections et les fautes d’orthographe de Guerino. Les pages de droite accueillent quant à elles la version traduite en italien. Le tout est complété d’images d’antan et de photos de quelques-unes des pages de l’agenda.
Des rires aux larmes
Dans le préambule du livre, Raphaël Morezzi pose l’ambiance, nous emmène dans ses souvenirs d’enfance et dans la vie du temps de Guerino. Il mentionne l’importance, pour les personnes d’alors, de se rencontrer, de consigner leurs soirées entre amis, de noter ce qui a été bu ou mangé, mais aussi les sommes d’argent prêtées ou reçues, signe d’une solidarité dans la pauvreté. Ensuite, l’agenda nous emmène dans le quotidien de Guerino. Il fait preuve d’une minutie tant dans la forme que dans le fond. Raphaël Morezzi le dit : « Il ne s’agit pas d’un journal intime. Certains mots sont barrés, réécrits. Il voulait être compris et donc lu ».

On embarque ensuite aux côtés de Guerino. Tout d’abord en Suisse où il partage son impatience de prendre part à la guerre. Il s’inquiète de ne pas partir en même temps que ses amis. Finalement, sa joie est grande lorsqu’enfin il reçoit son ticket de départ. Il intègre le régiment d’artillerie, fait ses classes à Turin et profite de retourner sur ses terres d’origine lors de ses permissions. Son regard sur la vie, sur l’Italie, sur la beauté des paysages qui l’entourent est empreint d’une touchante simplicité. Savait-il pourquoi il s’engageait réellement ? Sans doute pas. Comme beaucoup d’autres, il veut y aller, savoir ce que ça fait de se retrouver sur un champ de bataille et croit se battre pour une cause juste. Ses journées sont presque des bouffées d’air frais, avec des sorties, des rencontres, des beuveries et des échanges de lettres (beaucoup sont perdues ou certains passages sont caviardés) avec des amis et sa mère qu’il espère tendrement revoir avant de faire le grand saut.
Durant la lecture, on alterne entre moments drôles, comme une paire de gifles reçue par l’un de ses instructeurs, et très émouvant, comme les ultimes retrouvailles avec sa mère. Très régulièrement, nous pouvons lire : « Avons été au cinéma ». Pour voir des films de temps à autre, mais aussi, nous le supposons, pour se tenir informé de l’évolution de la guerre. Il se réjouit des victoires de l’Italie et, surtout, se réjouit d’y être vraiment. Mais l’attente est longue. Il pense être envoyé en Russie. Finalement, après des mois de patience, il part pour le sud de la France. Rapidement, le rêve se dissipe et la réalité reprend ses droits. Plus de lettres. Plus de nouvelles de la guerre. La vie est difficile, les alarmes deviennent plus régulières, les bombardements se rapprochent. La joie laisse place à l’anxiété et le regret. Mais aussi à la faim, au froid, à l’inconfort et à la solitude.
Une enquête qui remue l’âme
Si l’agenda se termine le 31 décembre 1942, nous laissant sur notre faim, Raphaël Morezzi a voulu connaître la suite de l’histoire. Son fils, Quentin, est parvenu à retrouver son nom sur internet : Guerino a été interné dans le camp de travail secret de Mittelbau-Dora, au cœur de l’Allemagne. Il y est mort le 26 juin 1944.
Pour rappel, jusqu’en juillet 1943, l’Italie combattait aux côtés de l’Allemagne et du Japon (l’Axe). Le 8 septembre 1943, elle signa un armistice avec les Alliés. Résultat : du jour au lendemain, les Allemands se sentirent trahis et considérèrent dès lors les soldats italiens comme des ennemis ou des traîtres. Les troupes italiennes stationnées un peu partout en Europe furent désarmées et capturées. Environ 600 000 soldats italiens furent faits prisonniers par les Allemands. Hitler refusa de leur accorder le statut de « prisonniers de guerre » et les désigna comme Internés militaires italiens (IMI).

Le camp de Dora-Mittelbau, près de Nordhausen (en Thuringe – Allemagne), était un camp annexe de Buchenwald, destiné à la production des missiles V2. Les Italiens y furent internés après leur capture, au même titre que d’autres prisonniers politiques ou militaires étrangers (Français, Russes, Polonais, etc.). Réduits au travail forcé, ils durent œuvrer dans des conditions effroyables, notamment dans les tunnels du complexe souterrain.
Raphaël Morezzi, accompagné de sa fille Lorène, a visité le camp. L’ouvrage se referme sur un témoignage poignant de cette expérience.
La mémoire d’un nom
Aujourd’hui, le souvenir de Guerino persiste, grâce tout d’abord à une inscription gravée après coup sur le marbre du monument aux morts situé devant la mairie de Masserano, mais aussi grâce à ce livre. Un hommage émouvant, unique et qui ne laisse pas indifférent.
Deux questions demeurent, sans doute à jamais sans réponse : comment ce carnet a-t-il pu traverser le temps, et pourquoi — et par qui — les pages du 12 juillet au 12 août ont-elles été arrachées ?
Informations
Points de vente :
Librairie le Chrono’page
Amiguet Martin
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Prix : 29 francs
- Photos : Zoé Gallarotti