Les chiens de protection des troupeaux existent depuis des millénaires. Ils servent à protéger les animaux de rente des grands prédateurs tels que le loup, le lynx ou encore l’ours. A travers le monde, il existe plus de cinquante races. Si, depuis peu, toutes les races peuvent être formées pour ce travail, depuis 1999, deux sont principalement utilisées : le Montagne des Pyrénées (connu sous le nom de Patou, issu du mot pastor qui remonte à l’occitan et qui veut dire berger) et le Maremmano Abruzzese. Rencontre avec le seul élevage de Patous du canton de Vaud situé à la Forclaz.
Le Patou et le Maremmano Abruzzese proviennent de régions de France et d’Italie traditionnellement fréquentées par les grands prédateurs. Actuellement, environ trois cent-cinquante chiens de protection des troupeaux officiellement reconnus travaillent en Suisse. Si la majorité d’entre eux sont utilisés pour protéger des troupeaux de moutons ou de chèvres, quelques-uns travaillent avec les bovins.
Par amour des Patous
Dans la maison familiale, située en plein cœur de la nature à la Forclaz, Carmen et Jean-Pierre Vittoni nous parlent avec passion de leur élevage de Patous qui existe depuis vingt-cinq ans. L’exploitation compte environ cent septante brebis et agneaux, quinze chèvres (dont quelques chevreaux), dix vaches (dont quelques veaux), cinq chevaux et un poulain. Tout ce petit monde est protégé avec amour par douze Patous (dont quatre en formation). En prime, quatre Border collies servent à la conduite des troupeaux lors des déplacements. « En Suisse, les pertes liées aux prédateurs représentent environ deux pour cent, mais il arrive que certains éleveurs essuient des pertes jusqu’à cinquante pour cent. De notre côté, grâce à nos chiens, nous n’enregistrons aucune perte depuis plusieurs années », indique Jean-Pierre Vittoni.
Sur chaque portée (deux fois par an), le couple assure la formation d’environ quatre Patous. Les autres sont remis auprès d’autres formateurs. « Les chiots, lorsqu’ils ouvrent les yeux, se trouvent auprès de l’espèce qu’ils seront amenés à protéger. La mère s’occupe de leur formation durant leurs trois premiers mois, puis les anciens prennent le relais. De notre côté, nous nous chargeons de leur sociabilisation avec les gens et veillons à ce que tout se passe bien avec le bétail. » Dès l’âge de dix-huit mois, ils passent une série de tests encadrés par AGRIDEA (centre de conseil indépendant pour l’agriculture et l’agroalimentaire en Suisse), lui-même mandaté par l’OFEV (Office fédéral de l’environnement). Ces tests servent, entre autres, à mesurer leur stabilité mentale, leur résistance au stress, leur réaction aux bruits, leur comportement avec le troupeau et leur sociabilité avec les humains. « La grande majorité de nos Patous réussissent les épreuves et sont donc reconnus comme chiens d’alpage », se réjouit Carmen Vittoni.
Les modifications des règlements par la Confédération ne facilitent toutefois pas la tâche du couple. Avant, une subvention était accordée à chaque chien dès sa naissance. Désormais, il doit réussir les tests pour pouvoir en bénéficier. Or, chaque Patou coûte à l’élevage entre 6’000 et 7’000 francs par an. De plus, désormais, toutes les races peuvent théoriquement obtenir le titre de chiens d’alpage, ce qui n’a pas que des avantages, notamment concernant le suivi des lignées et le contrôle génétique.
L’année est rythmée par les saisons, et lorsque l’activité sur les alpages ralentit, une autre organisation se met en place. En hiver, les chiens de troupeaux restent à la ferme ou sont placés avec du bétail dans les vignes. L’occasion pour eux de se reposer avant le retour des beaux jours. Ils peuvent travailler durant de nombreuses années (jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans) ou, à contrario, arrêter après seulement deux ans. « Tout dépend de leur motivation », explique Jean-Pierre Vittoni. Ils passent ensuite leur retraite à la bergerie ou sont placés dans des familles. Certains s’endorment avec le troupeau et, parfois, il y a aussi des accidents.
Coexister avec les chiens de troupeaux
Ce chien de grande taille, jusqu’à 80 cm au garrot pour les mâles, est robuste et majestueux. Il peut peser jusqu’à plus de 60 kg. « Lors d’une charge, un Patou peut générer une accélération équivalente à 9 g, contre 7 g pour un pilote de chasse de F/A-18 », précise Carmen Vittoni. C’est un protecteur né, prêt à défendre son troupeau ou sa famille contre les intrus. Il est calme, patient, doux avec les enfants et s’adapte bien à la vie de famille. Il est indépendant, capable de juger des situations et de prendre des décisions seul. Il travaille en groupe ; en cas d’attaque, certains restent avec le troupeau pour le protéger tandis que d’autres chargent les prédateurs.
Le Patou impressionne. Parfois, il fait peur. Il y a des règles à respecter pour le croiser en toute sécurité. « Si vous venez chez moi, vous sonnez, puis vous attendez que je vous ouvre et que je vous invite à entrer. Pour un chien de protection des troupeaux, la situation est similaire. Vous entrez sur le territoire qu’il garde et ce dernier s’étend à plus de 300 m autour du parc. La première règle à respecter est de ne pas faire face au troupeau, mais de le contourner, sans le regarder, même en détournant la tête à l’opposé de celui-ci. Parfois, le chien ne laissera pas passer les promeneurs, il faut alors faire demi-tour. Lorsqu’il travaille, c’est lui qui commande. Ainsi, il ne faut surtout pas tenter de lui donner un ordre, ni même le regarder et éviter des signaux qu’il peut prendre comme une agression tels que les froncements de sourcils, par exemple. Notez également qu’il aboie pour marquer son territoire. Il peut également s’approcher de vous. Cela peut être déroutant, mais il ne faut pas réagir. Pour ceux qui se baladent avec leur chien de compagnie, il faut toujours le garder en laisse, au sol (surtout pas dans les bras), le positionner à l’opposé du troupeau et vous mettre entre les deux. Les cyclistes, quant à eux, doivent s’arrêter et marcher à côté de leur vélo. Finalement, lorsque nous remuons les bêtes, il ne faut pas s’en approcher. » Autant de réflexes simples pour une cohabitation harmonieuse avec ces gardiens. Carmen Vittoni rassure quant au fait que les morsures sont extrêmement rares, « tout au plus, il peut pincer en signe d’avertissement ».
Des panneaux informent des sites protégés par des chiens. « Malheureusement, la plupart des promeneurs n’y prêtent pas attention. » Plusieurs applications, dont Swisstopo, indiquent également les sites gardés par des chiens de troupeaux.
Des chiens au grand cœur
Lors de la prise d’images, nous avons rencontré Parkemis, un Patou de dix-huit mois qui passera les tests cet automne. Grand, beau, fier, mais aussi joueur et câlin, il garde toujours un œil sur les chèvres dont il a la responsabilité. A notre arrivée, il saute de joie et reçoit de nombreux câlins des éleveurs. Une occasion unique d’approcher cette race, de la caresser, mais aussi et surtout de la comprendre. Carmen et Jean-Pierre Vittoni œuvrent avec les élèves et participent à des manifestations pour présenter leur travail et expliquer les bons comportements à adopter avec ces chiens qui font un travail extraordinaire.
- Photos : Zoé Gallarotti