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L’illettrisme, comment en venir à bout

En Suisse, environ 800’000 personnes, soit 16% des adultes ont de très faibles compétences en lecture. Parmi elles, près de la moitié sont nées sur sol helvétique et y ont suivi l’école obligatoire. Comment reconnaître et comment venir en aide aux personnes en situation d’illettrisme ?

 

Savoir lire et écrire est aujourd’hui devenu bien plus important que ce n’était le cas à l’époque. Que ce soit d’ordre privé pour remplir des documents administratifs, d’ordre social pour répondre à un sms, ou professionnel pour savoir comprendre une notice sur une machine, on est amené chaque jour à devoir lire ou écrire. Avoir suivi la scolarité obligatoire ne veux pas nécessairement dire que l’on sait lire et écrire. Les situations liées à l’illettrisme sont variées et peuvent toucher tout le monde : 70% des personnes concernées sont francophones. En revanche, l’analphabétisme concerne des personnes qui ont été peu ou pas du tout scolarisées. Mais, l’un dans l’autre, un adulte sur six est concerné, soit environ 210’000 personnes rien que pour la Suisse romande.

 

L’illettrisme a également un coût : selon une étude menée en 2007, à la demande de l’Office fédéral de la statistique, l’illettrisme coûte plus d’un milliard de francs par année en indemnités de chômage et pertes de revenu ou de recettes fiscales. En 2003, le nombre de chômeurs ayant de telles lacunes s’élevait à 48’000, soit 36% du total.

 

Ces lacunes dans les compétences de bases sont alors prises au sérieux par l’Etat ; dans ce sens il existe une nouvelle loi en vigueur en Suisse qui encourage la formation dans les compétences dites «de base» dont fait partie la lecture, l’écriture, le calcul et l’utilisation des TIC (technologies de l’information et communication).

 

Les causes et conséquences de l’illettrisme 

L’illettrisme est d’abord un phénomène social en étroite corrélation avec les progrès techniques. L’automatisation des équipements, le travail sur ordinateur, la cyberadministration sont des exemples de facteurs qui accordent une place toujours plus importante à l’écrit. Les causes de l’illettrisme sont pourtant variées ; il n’existe pas de profil type. Elles peuvent provenir du cadre familial ou lors de situations de rupture comme la maladie, le divorce ou des déménagements multiples. Un manque de pratique ou un rythme d’apprentissage non pris en considération par le système scolaire peuvent en être également les causes.

 

Les conséquences de l’illettrisme sont multiples. Tout d’abord, il est aujourd’hui presque impossible de trouver un emploi lorsque l’on a des difficultés pour lire ou écrire. Il est d’autant plus difficile de garder un emploi dans ces conditions : par exemple, lorsque des adaptations importantes apparaissent, les personnes en situation d’illettrisme n’ont généralement pas les capacités suffisantes pour répondre aux modifications de leur poste de travail ou simplement pour suivre des formations qualifiantes. Même en dehors du cadre professionnel, l’illettrisme peut s’avérer extrêmement handicapant, ne serait-ce que pour accompagner la scolarité de ses enfants, lire la notice d’un médicament ou un mode d’emploi ou se repérer dans une ville et utiliser les transports publics. Les personnes qui ont été scolarisées parlent encore moins facilement de leurs difficultés, par honte de ne pas savoir lire et écrire alors qu’elles sont allées à l’école ou par manque de confiance en elles. Dans tous les cas, l’illettrisme génère la peur du regard des autres ou celle de perdre son emploi et provoque bien souvent un manque d’estime de soi. Sans oublier que les personnes en situation d’illettrisme sont bien souvent dépendantes des autres.

 

Mais il est tout de même important de relever que l’illettrisme apporte généralement plusieurs qualités souvent insoupçonnées telles que le sens des responsabilités, une capacité d’imitation et d’anticipation souvent plus élevée que la norme, un sens de l’observation et une mémoire auditive accrue, de la persévérance et une certaine créativité.

 

Un coup de pouce…

Afin de venir en aide aux personnes en situation d’illettrisme, il est important de savoir reconnaître les signes. Mais ce n’est pas évident, car ces personnes redoublent souvent d’originalité pour cacher et ne pas aborder ce sujet tabou. Ainsi, voici quelques stratégies de contournement mises en place par les personnes en situation d’illettrisme. La technique de l’oubli, oublier un rendez-vous, ses lunettes, un formulaire. Reporter la demande en donnant des prétextes, refuser de produire un écrit ou mettre en avant une douleur au bras. Mais il arrive aussi que la personne propose de lire un document plus tard ; elle se fera ensuite aider par un membre de sa famille ou une connaissance.

 

En plus des stratégies de contournements, les personnes en situation d’illettrisme peuvent avoir des difficultés avec l’espace et le temps comme avoir de la peine à situer chronologiquement des événements, ne pas parvenir à se projeter dans le futur, ou ne pas respecter l’heure des rendez-vous. Sur le terrain, on entend souvent : «Je suis en retard car je n’ai pas de montre… je ne peux pas venir car j’ai un rendez-vous chez le dentiste le même jour… je ne peux pas y aller car je ne connais pas l’endroit… je dois regarder ma carte d’identité pour vous dire ma date de naissance… je ne me rappelle plus ce que j’ai fait l’année passée…

 

Association Lire et Ecrire

Afin de venir en aide aux personnes analphabètes ou en situation d’illettrisme, il existe l’Association Lire et Ecrire qui fêtera d’ailleurs cette année son trentième anniversaire. Cette association à but non lucratif et reconnue d’utilité publique est l’unique organisation du genre en Suisse romande. Elle vient en aide aux adultes qui parlent le Français et qui ont des difficultés avec la lecture, l’écriture ou le calcul. Les apprenants peuvent y suivre des cours pour apprendre les bases ou alors jusqu’à se perfectionner selon leurs objectifs. Que ce soit pour apprendre à écrire une lettre, lire une histoire à son enfant ou remplir un document, les cours donnés sont individualisés pour répondre à chaque demande de manière cohérente. L’association suit six axes principaux : Faire reconnaître l’illettrisme par les milieux politiques, mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation, organiser des formations, agir au niveau de la prévention, participer à des recherches sur l’illettrisme et travailler en partenariat et en réseau.

 

Il existe six sections Lire et Ecrire réparties dans l’ensemble de la Suisse romande et plus de 40 lieux de cours. La Région Riviera – Chablais fait également partie du programme depuis 1997. Ainsi des cours sont délivrés sur la commune d’Aigle depuis de nombreuses années et se déroulent dans le bâtiment du SeMo à la Planchette. Depuis la rentrée 2016, l’association a même ouvert un cours sur la commune de Bex, dans le bâtiment de l’ancienne cure, mis gracieusement à disposition par la Commune. «Nous remercions d’ailleurs tout particulièrement le directeur du SeMo Pascal Brunner, ainsi que la Municipalité bellerine pour leur générosité», ajoute Nathalie Salamolard, responsable régionale Lire et Ecrire. Les cours de base proposés favorisent une plus grande autonomie au quotidien et ils n’enseignent pas seulement à lire ou à écrire, mais offrent des compétences transversales comme la confiance et l’estime de soi et permettent de se sentir plus à l’aise que ce soit au niveau de l’espace ou du temps.

 

Malheureusement, moins de 1% des adultes qui ont des difficultés avec la lecture et l’écriture accèdent à un cours de base de cette association. Ce taux est largement insuffisant vu les exigences de plus en plus complexes de notre société. Il est donc primordial de savoir reconnaître et aider les personnes en situation d’illettrisme car, 43% des apprenants de Lire et Ecrire ont ouvert la porte de l’Association grâce à l’intervention d’une personne ou d’une institution tierce. Nous jouons donc un rôle important pour faire baisser ce pourcentage tout de même élevé (16%) de personnes en situation d’illettrisme en Suisse.

 

Les solutions au niveau local

Rappelons que les communes d’Aigle et de Bex accueillent les cours de l’Association Lire et Ecrire, mais ce ne sont pas les seules démarches misent en place dans la région afin de sensibiliser les adultes comme les plus jeunes à la lecture et à l’écriture. Pour réduire les chiffres liés à l’illettrisme il faut agir en amont : sensibiliser les plus jeunes. Ainsi, il existe le Bibliobus Né pour lire qui va à la rencontre de la population chablaisienne et dispose de plus de 400 livres pour les enfants dont la moitié est dans les principales langues de la migration. Parlons aussi de l’Association Français en Jeux, partenaire de Lire et Ecrire qui propose des cours de français gratuits. À Aigle : «nous soutenons l’Association AMIS qui propose également des cours de français, mais plus dans le cadre de l’intégration des étrangers, ainsi que Français en jeux», précise la municipale Maude Allora avant d’ajouter : «À l’avenir, il est possible que nous soutenions aussi l’association Lire et Ecrire.»

 

Témoignage

Ilda, 59 ans qui travaille dans le milieu social, suit les cours proposés par l’Association Lire et Ecrire. Elle s’est très généreusement ouverte à nous dans le cadre de ce sujet. Voici son témoignage :

«Je suis née au Portugal. À l’école je subissais beaucoup de moqueries à cause de mon pied bot, ce qui m’a poussée à me mettre à l’écart et à sécher l’école. J’ai rapidement eu des difficultés avec la lecture et l’écriture. À cette époque, mes parents me disaient que si je n’étais pas faite pour étudier il fallait que j’aille travailler. Âgée de douze ans seulement, j’ai alors quitté le système scolaire afin de débuter un apprentissage de couturière. Ne gagnant pas suffisamment d’argent pour vivre, à l’âge de 16 ans j’ai décidé de retourner aux études : je rêvais de devenir infirmière. J’ai pris des cours du soir, je savais tout juste lire et écrire, mais j’ai finalement décroché mon diplôme de l’école secondaire, ainsi qu’un diplôme de commerce, avec de grandes difficultés tout de même. C’est en arrivant en Suisse, il y a une trentaine d’années, que les choses se sont vraiment gâtées. J’avais toujours peur de me tromper, je n’employais pas les bons mots. J’étais incapable de remplir le moindre document toute seule. En Suisse, j’ai d’abord travaillé comme fille au pair, puis comme femme de chambre ainsi que dans différentes boutiques avant de me diriger dans le milieu social afin de m’occuper de personnes âgées ou en situation de handicap. Durant une période, j’ai été inscrite au chômage. J’y ai suivi un cours d’estime de soi. Ce fut une véritable révélation pour moi ; j’ai alors eu l’envie d’apprendre correctement le français écrit. Ma conseillère m’a donc inscrite dans l’association Lire et Ecrire. J’y suis des cours depuis plus de quatre ans. Je suis même rapidement devenue ambassadrice de l’association afin de motiver et soutenir les apprenants. Ces cours ont changé ma vie car lorsque l’on ne sait ni lire, ni écrire, on est mis en marge de la société ; je me rappelle par exemple que c’était horrible de devoir lire une histoire à mon fils aujourd’hui âgé de 17 ans. Je prenais un livre et j’inventais une histoire, mais il a rapidement compris mon manège. Mais depuis ces cours, je vis autrement, j’aborde les problèmes avec plus d’assurance et je suis plus à l’aise avec les autres personnes. Au sein de l’association Lire et Ecrire, je me suis fixée comme objectif de pouvoir écrire un petit livre afin de conter mon histoire. Mon parcours a beaucoup de hauts et de bas, mais j’ai surtout envie de partager mes hauts. Finalement, j’ai simplement envie de dire aux personnes qui ont des difficultés avec la lecture ou l’écriture qu’il faut penser à son avenir et que s’ils ont la possibilité d’apprendre, il faut foncer et surtout ne pas hésiter. Même si c’est difficile ou fatiguant, il faut transformer cette énergie négative en énergie positive. Il faut faire le premier pas, car personne ne le fera à votre place !»

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Article écrit par

Zoé Gallarotti

Zoé Gallarotti

Rédactrice en chef

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